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Dark Places: la noirceur des souvenirs, la douleur du passé

Photo: Remstar

Si on vous dit «Gillian Flynn», vous pensez sûrement «ce nom me dit quelque chose». Ou peut-être directement «Gone Girl». Gone Girl le roman, Gone Girl l’adaptation qu’en a faite Dave Fincher. Désormais, le nom de l’auteure que s’arrache Hollywood sera aussi associé à Dark Places – le film. Un thriller sombre réalisé par le cinéaste français Gilles Paquet-Brenner, qui combine des éléments-clés: Charlize Theron, Christina Hendricks, Kansas, satanisme et suspense.

Paru en 2009, Dark Places, second roman signé par l’auteure américaine à succès Gillian Flynn, raconte l’histoire de Libby, une jeune femme dont la mère et les deux sœurs ont été sauvagement tuées. Toute petite à l’époque, Libby a confirmé les dires des autorités, selon lesquelles c’est son frère, adolescent solitaire refermé sur lui-même, à l’écart des autres, de sa famille et de la société, qui aurait été responsable de ce crime hyper médiatisé. Avait-elle raison? Ou s’est-elle… trompée? Pour elle, savoir signifie se replonger dans le passé. Ce que Libby est plus ou moins désireuse de faire.

Captivé par le Kansas, et par ce thriller complexe et tortueux qui s’y déroule, le cinéaste français Gilles Paquet-Brenner a convaincu son auteure qu’il était celui qui serait capable de rendre justice à l’histoire. Le résultat lui donne raison. Entretien.

On doit vous avouer qu’au milieu de la projection de votre film, on a commencé à se sentir physiquement mal et oppressée par cette histoire. Est-ce que c’est un sentiment que vous souhaitiez créer chez le spectateur?
Vous ne pourriez pas me rendre plus heureux qu’en me disant ça! Non pas que j’aie des tendances sadiques, mais quand on filme une histoire comme ça, avec des conflits complètement insurmontables, on a envie qu’un roller-coaster émotionnel se mette en place. Je pense que ça fait partie du fun – je ne sais pas si le mot est vraiment juste – de l’expérience. (Rires)

«Ce qui me touche le plus, ce sont les répercussions à travers les époques du mal qui a pu être fait.» – Gilles Paquet-Brenner, réalisateur qui signe également le scénario adapté de Dark Places.

Dans le film, le personnage de Charlize Therron demande à un jeune homme captivé par le récit de sa vie: «Pourquoi es-tu si obsédé par cette histoire? Ce n’est même pas la tienne! C’est la mienne!» C’est un peu le dialogue que vous avez eu avec Gillian Flynn, non? Vous étiez complètement fasciné par son histoire, son roman, et vous l’avez convaincue que ça pouvait être «la vôtre»?
Oui, c’est vrai. Ben oui. C’était il y a cinq ans. Elle n’avait pas encore cédé les droits de son roman à l’époque. Elle était très prudente. Je pense qu’elle était consciente que, dans les mains de quelqu’un qui lui aurait donné un aspect plus horrifique et gothique, l’histoire perdrait beaucoup. Du coup, elle a pris le temps de s’assurer que [celui qui obtiendrait les droits du roman] s’intéressait avant tout aux personnages et au background sociologique et politique de cette histoire. Ça tombait bien, parce que c’est vraiment ce qui me fascinait.

Vous avez dit qu’«en tant que lecteur européen» (puis, plus tard, en tant que réalisateur), vous avez été fasciné par le Kansas, où se déroule le roman. Vous avez même visité cet État avec Gillian Flynn. Qu’y avez-vous trouvé de plus cinématographique?
Les paysages. Ils sont très plats, avec des lignes d’horizon comme ça, un petit peu à l’infini, et du coup, ils amènent facilement une espèce de poésie un peu mélancolique. Il y a une sensation de vide, de loneliness, de solitude, qui imprègne les images. On arrive donc assez vite à axer quelque chose d’un peu hanté, qui évoque le passé. C’est très, très agréable de travailler ce matériau. Mais vous savez, nous, Européens, on arrive et on est fascinés par tout! Par les voitures, les paysages, les objets, la façon dont les femmes se maquillent…

Et par le lien aussi, on image, que les gens ont avec leur terre, non? Car, comme le dit la mère de Libby, incarnée par Christina Hendricks : «Aimer sa terre, c’est comme aimer ses enfants.» («I love the land. It’s like loving your kids.»)
Alors ça, je l’ai littéralement piqué dans un documentaire de Louis Malle! J’ai découvert, en faisant des recherches, qu’il avait filmé l’Amérique de cette époque, en fait! Notamment les fermiers. Et le «I love the land», c’est un mec qui disait ça dans un de ses documentaires! Ça m’a tellement touché que j’ai dit : allez, j’y pique! Parce que c’est trop beau, quoi! Et surtout, ça faisait vachement vrai.

Dark Places aborde notamment le thème du «satanisme», mouvement avec lequel le frère de Libby fraie. Il y a toute une mythologie autour de ce courant, un sentiment de danger, de transgression. Y avait-il quelque chose d’excitant pour vous à jouer avec ces éléments un peu… occultes?
Avec le satanisme en lui-même, pas vraiment! Ce qui est intéressant, c’est ce qu’est le satanisme aux États-Unis, parce que, évidemment, c’est un pays extrêmement pieux, où Dieu a une place absolument énorme. Pour moi, s’il y a des mômes fascinés par ça, c’est parce qu’ils sont tellement oppressés religieusement qu’ils y trouvent une espèce d’échappatoire. Après, le vrai satanisme… Comme on l’explique un peu dans le film, il y a réellement eu une panique dans les années 1980 aux États-Unis. Mais 99% des cas se sont avérés complètement bidon! Ces mômes jouaient avant tout à se faire peur. Pour moi, c’est un truc un peu grand guignol, au final. Mais qui est vachement intéressant sociologiquement par rapport au pays.

Vous insérez d’ailleurs des extraits de reportages qui traitent de la question de manière hyper sensationnaliste, qui accusent la musique heavy metal de tous les maux (classique!) En utilisant ces éléments, on imagine que vous avez souhaité faire un commentaire sur les médias, et sur leur tendance à tout exagérer?
On a l’impression que c’est le mal de notre époque: la rapidité de l’information, internet et compagnie, mais en fait on se rend compte qu’il y a 25 ou 30 ans, c’était déjà plus ou moins la même chose, quoi! Il y avait déjà CNN, on était déjà dans du news 24 heures sur 24. Et quand la presse écrite a explosé en Europe à la fin du 19e siècle, c’était exactement la même chose. Quand il y avait des tueurs, ils faisaient 15 éditions spéciales par jour! En fait, ç’a toujours été ça. Après on s’y intéresse beaucoup en ce moment. Pourquoi? Je ne sais pas.

Sur un autre sujet, dans le film, surtout chez Libby, les lieux croulent sous les vieux meubles et les bibelots. On dirait par moments un épisode de Hoarders. Je ne sais pas si vous connaissez cette émission de téléréalité dans laquelle les personnes accumulent des montagnes d’objets, sans réussir à les jeter…
Oui, justement! En fait, Libby, c’est vraiment une hoarder! C’est une idée de Charlize, parce que moi, je n’avais aucune idée de ce que c’était. Un jour, elle m’a dit: «Je voudrais que Libby soit une hoarder.» J’ai dit: «D’accord. Pas de problème! Mais… c’est quoi?» (Rires) Elle a essayé de m’expliquer, mais franchement, je ne comprenais pas! Donc elle m’a suggéré de regarder le show, ce que j’ai fait. Je suis tombé par terre! Et j’ai vu qu’il y avait une concordance avec le personnage qui était vachement intéressante. En plus, ça créait un univers extraordinairement oppressant.

Parlant d’objets, il y a le père qui mentionne à Libby un «cendrier en flamand rose» qu’il lui a donné «quand elle avait 10 ans et ne fumait pas». Cette image nous a semblé particulièrement évocatrice.
Et vous l’avez vu, le cendrier?

Non…
Parce qu’il y est! Ah oui! À côté de son lit! De toute façon, l’idée de ce cendrier me faisait mourir de rire dans le livre! Du coup, on l’a gardé… Ce qui veut dire que mon accessoiriste, en préproduction, devait chercher sur e-Bay des cendriers en forme de flamand rose parce qu’il fallait les trouver, quoi! Il y a plein de petits détails comme ça…

Dark Places
En salle dès vendredi

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