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Berlinale: Vaysha l’aveugle, regard présent

Photo: ONF

TAG Berlinale Le futur qui fait peur, le passé dont on s’ennuie. Et le présent qui, pendant ce temps, file à toute allure et nous échappe, sans que jamais on prenne soin de le vivre vraiment. Avec Vaysha l’aveugle, Theodore Ushev signe un court métrage d’animation sur notre difficulté à être ici, maintenant. «C’était peut-être mon film le plus facile à faire! confie le cinéaste montréalais d’origine bulgare. Tout était clair dans ma tête.»

Il a réalisé moult œuvres primées. Mais c’est la première fois que Theodore Ushev en présente une à la Berlinale. «On me dit que c’est la meilleure place pour lancer un film en première!» s’exclame-t-il joyeusement lorsqu’on le rencontre à l’ambassade canadienne à Berlin, dans le cadre d’un rendez-vous avec les artistes d’ici organisé par Téléfilm Canada.

Avec son bel accent chantant, Theodore dira plusieurs fois que le festival «est super», que confectionner ce petit bijou de Vaysha l’aveugle, «c’était super». Il tentera aussi de nous faire croire, ha, que son imaginaire, foisonnant, est inexistant. Mais on ne se laissera pas flouer. «Je vous jure, ce film s’est absolument imposé à moi! Je n’ai rien inventé! Moi, je n’ai aucune imagination, donc tout vient d’ici, de là, de là, de là.»

Là, là et là, c’est l’endroit où il se trouvait quand il a eu l’idée de son film, soit l’abbaye de Fontevraud, en France. Puis la nouvelle du Bulgare Georgi Gospodinov, Vaysha l’aveugle, qu’il a lue et qui l’a tant nourri. Sans oublier la comédienne qui narre l’histoire, Caroline Dhavernas, et qu’il a trouvée, oui, super. «J’ai tout de suite pensé à elle pour faire la voix. C’était soit elle, soit rien», confie le cinéaste. L’actrice, qui  «venait juste de finir de tourner la saison de Hannibal», a accepté. Donc ce ne fut pas rien. «Je lui ai dit : “Tu dois raconter cette histoire comme si tu la racontais à ta fille. Sans jouer.” Elle a fait un essai et, pah!, ç’a marché!»

Ce qu’elle raconte, cette histoire? Celle d’une enfant nommée Vaysha, née avec deux yeux différents. Un vert, un marron. Mais surtout «un qui ne voit que dans le passé et l’autre qui ne voit que dans l’avenir».

Ainsi, simultanément, la belle Vaysha aperçoit de l’œil gauche une chenille, du droit, un papillon. Ou encore, du gauche, un jeune garçon en culottes courtes, du gauche, un vieil homme qui s’appuie en tremblant sur sa canne. «Le présent n’existe pas à ses yeux.»

«Pour moi, ce film est en quatre dimensions, parce qu’on ne se promène pas seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps. On va du passé au futur, du futur au passé, du passé au futur…» -Theodore Ushev

Dans ce court métrage produit par l’ONF, avec la participation d’ARTE France, le réalisateur de 48 ans souhaitait explorer notre incapacité chronique à savourer le «maintenant». Il souhaitait également donner l’impression au spectateur qu’il «file sur l’autoroute», tandis que le paysage, lui, défile à toute vitesse. Le passé d’un côté. L’avenir de l’autre. Pour ce faire, Theodore Ushev a utilisé toutes les avenues. La musique, notamment, qui combine éléments d’«autrefois» (à savoir une marche funèbre d’Henry Purcell) et sonorités futuristes (à savoir celles de Kottarashky, ami et fidèle collaborateur de Theodore, avec qui il a «déjà fait trois films»).

Le design de Vaysha l’aveugle, véritable travail d’orfèvre, est «inspiré du dessin médiéval». Car dans cette abbaye de Fontevraud, où Theodore Ushev faisait une résidence d’écriture en cinéma d’animation, il a trouvé plein d’idées en regardant «les vitrages, l’imagerie du lieu». Comme le visage de l’héroïne, «qui ressemble à des portraits d’Aliénor d’Aquitaine». Une fois inspiré pleinement, le cinéaste a conçu, «comme toujours», deux versions de son œuvre. L’une en français, l’autre en anglais. Vaysha l’aveugle et Blind Vaysha, donc. «Avec l’animation, c’est très difficile de mettre des sous-titres. L’image est trop chargée, c’est difficile à suivre.» Caroline Dhavernas s’occupe des deux versions, comme Xavier Dolan l’avait fait en narrant un autre court métrage récompensé de Theodore Ushev, Les journaux de Lipsett, en 2010. Ou, comme s’amuse à dire le cinéaste, «avant qu’il devienne Xavier Dolan!»

Theodore Ushev

On remarque que sa nouvelle œuvre, qui risque de connaître un parcours riche et nourri (il y aura même «une version Oculus Rift, interactive»), possède quand même un certain humour. Theodore Ushev, sincèrement curieux, s’enquiert : «Il y en a? Vous trouvez? C’est vrai que les gens rient pas mal pendant les visionnements! Mais pourquoi tout le monde rit? C’est une histoire plutôt triste, quoi!»

«On me dit toujours que mes films sont très sombres. Très dark. Pas mal dépressifs. Le Canadian Film Institute a même publié un livre qui s’appelait Dark Mirror, les films de Theodore Ushev! enchaîne-t-il en rigolant. C’est bizarre. Quand je fais des films drôles, on les trouve déprimants. Et quand je fais des films déprimants, comme celui-là, les gens les trouvent drôles!»

Mais il apprécie ces différences de vision. «J’aime que les gens voient mes films à leur façon. Avec subjectivité. C’est pour ça que je déteste rendre le message trop clair. J’aimerais que tout le monde trouve ce qu’il veut dans les films que je fais.»

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