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Catherine Proulx: Regard sur la Justice

Photo: Chantal Levesque

Souhaitant «aller au-delà des préjugés pour tenter de trouver des solutions», Catherine Proulx explore la Justice sous trois angles : Les victimes d’actes criminels, Les ex-détenus, Les jeunes contrevenants. Trois épisodes dans lesquels la documentariste démontre tour à tour la complexité de la guérison, l’épreuve de la réinsertion sociale, la difficulté de l’intervention.

Chaque épisode de votre minisérie débute par un enchaînement d’extraits de nouvelles télévisées. Souhaitiez-vous, par ce procédé, faire un commentaire sur les médias et sur la façon dont ils traitent les sujets judiciaires?
Je voulais surtout partir de ce que les gens connaissent, de ce qu’on reçoit comme infos sur la justice. Et ce qu’on reçoit, ce sont les crimes, ce sont les procès, ce sont les jeunes violents. C’est le pire. Les réussites, les bons coups du système, ça non. Pour ce qui est des victimes, on entend parfois parler du procès, mais on n’a aucune idée du fait qu’après, elles peuvent passer des mois sans sortir de leur maison. L’idée, c’était de partir de l’opinion publique et d’entrer ensuite dans le sujet pour montrer un autre côté, un autre angle.

Dans l’épisode sur les jeunes contrevenants, vous montrez un extrait du sénateur Pierre-Hugues Boisvenu affirmant : «La violence chez les jeunes, c’est inquiétant, c’est en montée.» Et directement après, vous dites en voix off : «C’est faux de dire que la criminalité augmente. Au Québec, le taux de criminalité chez les jeunes a baissé de 40 % au cours des 10 dernières années.» C’est dans cette même idée de «montrer un autre côté»?
Si j’écoute les nouvelles, moi aussi j’ai l’impression que la criminalité augmente. Moi aussi, je me dis : «Mon Dieu, les jeunes sont de plus en plus violents! Il y a des crimes tout le temps!» Mais en travaillant sur cette série, j’ai brisé mes propres préjugés. Je comprends que la justice, c’est un sujet super émotif, et qu’on reste souvent dans la peur et dans la colère. Ce sont des émotions normales, car un crime, c’est horrible. Mais il faut départager nos impressions et la réalité. Je ne veux pas dire aux gens quoi penser. Je veux offrir ma vision pour qu’après, on puisse en débattre.

Vous dites que la justice est un sujet qui génère beaucoup d’émotions. Avez-vous mis les vôtres de côté? Ou avez-vous senti, par moments, avec certains témoignages, qu’elles ont pris le dessus?
Je ne les ai pas mises de côté! Je les ai vécues! C’était prenant, ça m’habitait beaucoup. Des fois, je me suis même demandé pourquoi je faisais ça. En même temps, c’est ça, pour moi, la justice. C’est un sujet humain! On parle souvent de statistiques, mais fondamentalement, c’est un humain qui blesse un autre humain. Ce n’est jamais simple, c’est complexe et ça implique beaucoup d’émotions. Mais il ne fallait pas qu’elles prennent toute la place. Il fallait quand même regarder les chiffres, les données, les approches.

«Il fallait laisser du temps. Pour parler. Pour comprendre l’histoire, pour comprendre le processus. Tout s’est fait sur du long terme.» -Catherine Proulx, réalisatrice, qui a passé trois ans à travailler sur Justice

Dans le premier épisode sur les victimes d’actes criminels, dont l’inceste, on voit beaucoup de plans d’immeubles. Pour montrer que c’est souvent à la maison que ces actes criminels sont commis?
Je voulais évoquer que ça se passe dans une maison, que ça se passe à côté de chez nous. On a toujours l’image du pédophile caché dans un buisson, mais ce n’est pas ça du tout! C’est plus facile d’accepter que ce soit le méchant dans le parc que le beau-père. On aimerait que ce soit simple, qu’il y ait les bons d’un bord, et les méchants de l’autre. Mais à vouloir absolument que tout soit simple, on se met la tête dans le sable et on ne fait absolument rien.

Bien que les témoignages soient souvent durs et bouleversants, était-il primordial pour vous qu’il y ait beaucoup d’espoir dans chaque documentaire, tant du côté des jeunes contrevenants, des intervenants, des victimes que des ex-détenus?
Eux en ont! Ils en ont tous! Leur résilience n’était jamais forcée. Leur espoir non plus. Ça venait beaucoup d’eux. Les intervenants, par exemple, s’ils n’ont pas d’espoir, ils ne peuvent plus faire leur travail!

C’est répété quelques fois par plusieurs protagonistes, dans diverses situations : «Il y aura toujours un avant et un après.» Pour vous, y a-t-il «un avant et un après» cette série? Est-ce que ça vous a changée en tant que réalisatrice?
Oui! Je suis plus au courant de ce qui se fait chez nous en termes de justice. Et, même si on entend tout le temps parler des mauvais côtés, je trouve qu’on a une belle approche. Il y des gens tellement compétents dans ce milieu, qui travaillent avec tant de conviction! Autant en maison de transition, qu’en centre jeunesse, et en ce qui a trait à l’aide aux victimes, ça m’a impressionnée. Je ne suis pas du tout désabusée. Notre système n’est pas parfait, mais je pense que si on se compare, on peut se consoler. On a des gens qui pensent la justice au Québec de façon assez intéressante. Je juge moins facilement aussi.

C’est pour ça que vous faites du cinéma documentaire?
Je pense que oui! Souvent, ce qui motive mes films, c’est d’aller «voir au-delà». Je pars souvent de préjugés (que j’ai ou que j’ai entendus autour de moi) et ensuite, je tente de vérifier s’ils se tiennent ou non. Dans ce cas-ci, je n’avais pas envie de faire la morale. Je sais qu’il y a des gens qui entendent le mot «détenu» et qui ne veulent rien savoir. À ceux-là, j’ai amené l’argument du «combien ça coûte». Ils ne sont pas sensibles à l’argument humain? On va essayer l’argument économique. Garder tout ce monde derrière les barreaux, combien ça coûterait? Si on veut trouver des solutions, on ne peut pas rester dans nos idées reçues.

Justice
Les 29 février, 7 et 14 mars à 21 h
Sur les ondes de Télé-Québec

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