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Joe Walker: mæstro du montage

Photo: Chantal Levesque/Métro

Joe Walker a monté les trois somptueux longs métrages de Steve McQueen. Hunger, Shame et 12 Years A Slave. Nommé aux Oscars pour ce dernier film, il a également laissé sa marque sur Sicario, l’impressionnant thriller de narcotrafiquants réalisé par Denis Villeneuve. Ces jours-ci, Joe planche sur Story of Your Life, du même cinéaste québécois. Passionné, volubile, il parle de son métier avec la joie d’un gamin qui joue aux ninjas avec ses amis. Et juste au cas où on en douterait, il répète sans arrêt : «J’adore mon boulot!»

Joe Walker nous accueille dans un studio du Mile End où il a posé ses pénates le temps de monter Story of Your Life. En traversant le couloir et en entrant dans son bureau, on tente de découvrir des traces du nouveau film de Denis Villeneuve. Des indices. Sans succès. Joe a bien prévu le coup. Les murs sont couverts de post-it barbouillés de notes indéchiffrables pour l’œil extérieur; sur l’écran de son bureau, le Britannique de 52 ans a affiché une image de… Benicio del Toro dans Sicario. «Désolé, tout est top secret», s’excuse-t-il.

Enthousiaste, il s’empresse de demander à notre photographe où il doit se placer: «Ça serait bien devant mon ordi, non? Ça va plaire aux nerds. Il y a plein de nerds qui m’aiment!» Puis, il s’enquiert : «Quel genre d’air aimeriez-vous que je prenne? Sérieux? Heureux? Épuisé?» «Joyeux fatigué?» lui propose-t-on. «Ah! ça, ce sera facile!» s’esclaffe-t-il. En effet, par la fenêtre, on voit le ciel, noir de nuit. Pourtant, Joe monte depuis le matin; à la fin de l’entretien, il nous confie qu’il lui reste, «oh, encore quelques heures avant de finir cette journée de travail».

Dans une telle situation, bien des artistes auraient répondu aux questions de façon expéditive, évitant les anecdotes, les apartés et les détails, levant les yeux au ciel ou soupirant à une question, voire tout au long de l’entretien. Pas Joe Walker. Pendant une heure, il nous parlera de sa joie de plonger, pour la première fois, dans la science-fiction grâce à ce nouveau-né de Villeneuve, qui met en vedette Amy Adams et Jeremy Renner. Il confiera avoir pleuré d’émotion «par deux fois!» en montant «une scène où il est question de deuil». Il racontera aussi «adorer les classiques du genre, Solaris, 2001, Alien», et «les films bizarroïdes» de son enfance comme Dark Star, de John Carpenter. «Mais les nouveaux Star Trek me laissent de glace. C’est pour les gamins!» s’amuse-t-il à dire. Il notera aussi avec son humour british à quel point il a eu de la chance d’avoir commencé dans le métier «en étant l’assistant d’un monteur qui aimait boire». «Quand il piquait un somme, je pouvais m’exercer!»

Vous avez souvent raconté avoir découvert le travail de Denis Villeneuve grâce à Incendies, puis avoir été happé par Prisoners, au point de vous mettre à rêver d’une collaboration avec lui. L’homme que vous avez fini par rencontrer était-il à l’image de celui que vous aviez imaginé en regardant ses œuvres?
Eh bien, je l’ai trouvé beaucoup plus doux que ses films qui, eux, sont très violents et moralement tumultueux! (Rires) Honnêtement, je suis très heureux que nos chemins se soient croisés. La relation entre un monteur et un réalisateur est capitale. On comprend pourquoi des gens comme Martin Scorsese et Thelma Schoonmaker (qui a monté, entre autres, Wolf of Wall Street, Aviator et Raging Bull) restent ensemble! Quand ça clique, c’est si gratifiant!

À la sortie de 12 Years A Slave, l’acteur et humoriste Chris Rock a encensé l’œuvre et déclaré: «Si vous n’allez pas voir ce film, vous ne méritez pas d’avoir des yeux.» Trouvez-vous que le fait de nous montrer des choses qu’on ne veut pas nécessairement voir fait partie de votre travail?
Il a dit ça? Wow! C’est sûr que j’ai toujours été attiré par les histoires plus dures, mais je suis également heureux de travailler dans le domaine du show-business. J’aime la pression commerciale. Je pense qu’il y a quelque chose de splendide dans le fait de se retrouver au bout du monde, au milieu de nulle part, et de voir, par exemple, dans un bar de fortune, un film comme Raiders of the Lost Ark repasser sur une télé boboche. C’est une version très mal traduite, il y a un frigo qui fait un vacarme pas possible, mais tout le monde regarde l’écran, captivé, parce que l’histoire est si bien racontée.

«Dans le milieu du cinéma, avec nos gros ego, on a tous du mal à ne pas être les chefs. Le caméraman, le directeur photo… chacun croit qu’il peut faire un film mieux que le type à côté! Mais avec Denis Villeneuve, ce n’est pas le cas. Je sais que je ne pourrais jamais prendre de meilleures décisions que lui!» – Joe Walker

Par le passé, vous avez été compositeur et monteur sonore. Votre boulot actuel, c’est aussi une question de rythme?
Oui, vraiment. Je pense du reste qu’une grande partie du travail d’un monteur consiste à «faire de la musique». Il faut être en accord avec le réalisateur, être synchro avec les acteurs. C’est comme une danse. On doit être attentif à la cadence des autres. Je dois dire que, personnellement, j’aime aussi laisser une grande place aux effets sonores et ne pas uniquement miser sur la musique originale pour créer des ambiances.

Il est courant d’entendre des gens se plaindre que les galas comme les Oscars sont trop longs parce qu’il y a trop de prix techniques. Cette année, au Gala du cinéma québécois, tous les prix techniques ont été remis hors ondes, ce qu’on a trouvé plutôt dérangeant. Qu’en pensez-vous?
Moi, je couperais plutôt quelques numéros musicaux ou les petites vidéos visant à présenter chaque film en compétition. J’ai déjà été nommé pour un prix à l’époque de 12 Years A Slave. Au gala, nous étions tous assis à une table. Ils ont simplement projeté un écriteau sur lequel était inscrit «meilleur montage» et le nom du gagnant à côté. Sur fond blanc. Sans musique. Dans une police de caractères absolument nulle. C’était la pire façon d’apprendre que je venais de perdre! (Rires)

Vous semblez avoir beaucoup d’humour. Vous vous présentez, entre autres, comme un «monteur londonien tentant de se frayer un chemin à travers les lèvres siliconées de Hollywood». Ça aide quand on travaille sur des œuvres dures comme Hunger ou Sicario?
(Rires) Je sonnerais comme un sans-cœur si je vous disais qu’on a eu beaucoup de plaisir à monter des films comme Hunger ou Shame. Mais… c’est vrai. Je suis très passionné et sérieux, mais avec Denis, par exemple, on passe 12 heures par jour, sept jours sur sept, pendant une année complète ensemble. Je garde mes problèmes personnels en dehors du travail. Je ne veux pas un thérapeute : je veux un réalisateur! Mais je sais ce qui se passe dans sa vie, il sait ce qui se passe dans la mienne. On est des frères, ou des bros, comme on dit!

Est-ce qu’un bon montage peut sauver un scénario raté? Une piètre performance d’acteur? Un réalisateur dans le champ?
Oui pour le scénario. Oui pour les acteurs. Non pour le réalisateur. Il ne se rendrait probablement même pas compte que son monteur est compétent!

Est-ce qu’un bon réalisateur peut sauver un mauvais montage?
Oui. Il suffit de mettre le monteur dehors et d’en engager un meilleur. Ça, c’est être un bon réalisateur! (Rires)

La signature Joe Walker

Le monteur cumule une feuille de route cinq étoiles. En voici trois :

12 Years a Slave

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Troisième collaboration entre Steve McQueen et Joe Walker, 12 Years a Slave a mené le duo (et plusieurs membres de l’équipe) aux Oscars en 2014. Le monteur était en lice dans la même catégorie que Jean-Marc Vallée. «Je l’ai rencontré. C’est un homme fantastique. Formidable.»

Shame

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Ce drame où brille Michael Fassbender sera présenté lundi au Centre Phi, après la discussion animée par l’auteur Samuel Archibald. «J’ai dîné avec Samuel et on a longuement jasé. J’ai été stupéfait : il n’a bu que du café! Pour un écrivain, c’est épatant!» rigole Joe.

 Sicario

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«Dans mes premières versions, l’héroïne jouée par Emily Blunt était trop passive. Elle avait l’air d’une reine, faisant des signes de la main du bord de sa limousine, dans les rues de Juárez! J’ai fait beaucoup de modifications afin qu’elle ne soit pas témoin de tout.»

Conversation avec Joe Walker
Au Centre Phi lundi à 18 h

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