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Le monde auquel nous aspirons ne prévoit pas de fracturation hydraulique sur un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO

Photo: Archives
Amy Giliam et André-Yanne Parent - Collaboration spéciale

Par Amy Giliam et André-Yanne Parent.*

Imaginez le silence du bushveld, ponctué par les cris de l’aigle africain ou le gloussement des hippopotames, les touches de couleurs des martins-pêcheurs qui s’élancent, tandis que les chiens sauvages sont à l’affût dans les hautes herbes et que des centaines d’éléphants se fraient un chemin dans l’eau.  

Cette abondance de vie s’épanouit au cœur du désert du Kalahari, connu sous le nom de la région sauvage de l’Okavango. Couvrant 2,5 millions de km2 et s’étendant sur trois pays – l’Angola, le Botswana et la Namibie – la région sauvage de l’Okavango, qui comprend le delta de l’Okavango, est un haut lieu de la biodiversité en Afrique et dans le monde, l’un des derniers endroits véritablement sauvages. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, le delta abrite une grande diversité d’oiseaux et de plantes, la plus grande population d’éléphants d’Afrique de la planète et des espèces menacées telles que les guépards, les rhinocéros noirs et blancs, ou encore les chiens sauvages. La région est également la terre ancestrale et l’un des derniers lieux de refuge des Sans et d’autres groupes autochtones d’Afrique australe, tandis que le fleuve Okavango assure la sécurité hydrique de plus d’un million de personnes.  

Cependant, ces riches systèmes de vie soutenus par le delta de l’Okavango risquent d’être irrémédiablement endommagés par les activités de forage pétrolier de la société canadienne Reconnaissance Energétique Afrique (Reconnaissance Energy Africa ou ReconAfrica). En janvier 2021, ReconAfrica a commencé le forage exploratoire de pétrole sur le premier de trois puits dans le bassin de Kavango – en amont du delta de l’Okavango. La zone sous licence couvre 35 000 km2, une superficie plus grande que la Belgique, et chevauche le plus grand parc de conservation transfrontalier du continent – la zone de conservation transfrontalière Kavango-Zambezi. Les écologistes de Namibie, du Botswana et du monde entier craignent que le projet n’anéantisse les efforts déployés pour limiter l’augmentation de la température moyenne de la planète à 1,5 °C en utilisant un sixième du budget mondial de carbone. De plus, ReconAfrica devrait bénéficier de 90 % des bénéfices, la Namibie ne recevant que 10 % en échange de la destruction de sa faune et de sa flore. Déjà dans la première phase d’exploration, les pratiques de ReconAfrica suscitent de nombreuses inquiétudes de la part des communautés autochtones et locales. L’entreprise canadienne n’a pas été en mesure de répondre à leurs questions, notamment, quel est le plan de traitement pour les eaux usées produites par l’exploration, ni même d’offrir des conditions propices à de véritables consultations, par exemple un service de traduction.  

ReconAfrica fait également face à des allégations de fraude dans sa tentative d’obtenir des fonds auprès d’investisseurs boursiers. Selon une enquête récente du National Geographic, une plainte déposée auprès de la Commission américaine des valeurs mobilières (SEC), basée sur des documents publics, cite plus de 150 cas de déclarations trompeuses de la part de ReconAfrica, alléguant que la société a levé des millions de dollars de manière frauduleuse, faisant allusion aux allégations selon lesquelles plusieurs cadres supérieurs ont vendu leurs actions alors que ReconAfrica en faisait la promotion. Difficile d’être en confiance et de s’attendre à plus d’imputabilité de cette entreprise qui agit déjà de manière si imprudente, autant chez elle qu’à l’étranger. 

En effet, le professeur Bob Scholes, climatologue sud-africain de renommée internationale, malheureusement décédé le 28 avril 2021, nous a déjà mis en garde : «Vous allez entendre toutes sortes de grandes promesses de la part de gens comme ReconAfrica qui essaient de vendre quelque chose bien sûr… lorsque le bruit court qu’il y a un développement de champ gazier, les gens affluent de partout et dans un développement moderne, nous ne parlons que de (créer) quelques centaines d’emplois. Les emplois hautement qualifiés seront occupés par des expatrié.e.s… et ce que les gens ne savent pas, c’est que des bidonvilles se développent et quand le développement disparaît, la bulle éclate et la communauté n’a plus de ressources pour subvenir à ses besoins.» 

La situation du bassin de Kavango n’est qu’un exemple parmi tant d’autres ; elle souligne l’urgence d’accroître non seulement la responsabilité des entreprises canadiennes à l’étranger, mais montre également le manque de mesures en place pour réellement tenir les entreprises imputables. Même l’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) n’a pas le pouvoir d’enquêter sur les abus, laissant les communautés affectées sans structure adéquate pour les servir. En tant que signataire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le Canada devrait veiller à ce que les droits des peuples autochtones et du Kavango soient effectivement protégés contre l’exploration et l’extraction d’énergies fossiles sur les terres et les eaux qu’ils considèrent comme leur maison depuis des temps immémoriaux. Leur opposition au projet reste encore ignorée, et leurs droits violés. 

«Nos vies en tant que peuple namibien ne signifient rien pour les puissances commerciales avides comme Recon Africa. Comment se fait-il que dans le monde d’aujourd’hui, une société étrangère ait plus de droits sur nos terres que nous, le peuple? Qu’est-ce que cela signifie d’être un.e citoyen.ne quand mes droits en tant que citoyen.ne sont dépouillés par une société sans foi ni loi comme ReconAfrica ?» Ina-Maria Shikongo, coordonnatrice des Vendredis pour l’avenir ( Friday’s For Future) en Namibie et activiste.  

Alimentées par leur désir de profit, les activités d’exploration pétrolière de ReconAfrica dans le bassin de Kavango sont un nouvel exemple d’une nouvelle menace pour une vieille histoire : le (néo)colonialisme. Au lieu du contrôle militaire et politique indirect ou direct auparavant exercé par des gouvernements étrangers, le capital transnational ou les sociétés multinationales sont devenus les dernières puissances coloniales, se partageant des morceaux d’Afrique et s’efforçant de saper le contrôle démocratique des Africain.e.s sur leurs terres et leurs ressources en eau[AP1] . Sur le site du premier puits, le drapeau du Canada flotte même au-dessus de celui de la Namibie, en violation de la Constitution nationale du pays[AP2] , qui stipule que le drapeau national doit être hissé sur un mât distinct des autres drapeaux internationaux ou nationaux.  

Alors que le forage du deuxième puits est en cours, l’Agence internationale de l’énergie a publié une feuille de route visant à atteindre le niveau net zéro d’ici 2050 et n’a laissé aucune ambiguïté sur le fait que, dès maintenant, il ne peut y avoir d’investissement dans de nouveaux projets d’approvisionnement en combustibles fossiles et recommande une élimination progressive immédiate. Les promesses du Canada pour une réglementation climatique ambitieuse perdent leur crédibilité si nous tolérons que des entreprises canadiennes telles que ReconAfrica creusent ailleurs et développent de nouveaux projets de combustibles fossiles. Les communautés ont le droit de dire non. Il est temps de faire front commun pour mettre fin à l’exploitation continue des populations et des ressources naturelles de l’Afrique. 

Nous ne pouvons pas rester passif.ve.s et nous devons répondre aux multiples appels à l’action lancés par les Peuples autochtones, les communautés locales et les groupes de la société civile du bassin de Kavango. Vous pouvez contribuer à sauver le delta de l’Okavango, à lutter pour un monde juste et à protéger la biodiversité en signant et en diffusant cette pétition.   

*Amy Giliam est la Directrice de la branche africaine du Projet de la réalité climatique et André-Yanne Parent est la Directrice générale du Projet de la réalité climatique Canada. 

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