La pandémie force les journalistes à repenser leur couverture de la campagne

Un panneau indique «Masques nécessaires»à une table ronde où le président Donald Trump s'est exprimé le 14 septembre 2020 à Phoenix, Arizona Photo: Andrew Harnik/AP Photo

NEW YORK — Quand le confinement a commencé, la journaliste Martha Raddatz, du réseau ABC News, a bien pensé que son voyage à travers le pays pour aller à la rencontre des électeurs n’aurait jamais lieu.

Mme Raddatz complète plutôt ces jours-ci un périple de près de 10 000 kilomètres qui l’a notamment menée en Ohio, où elle a rencontré un homme selon qui le président Trump «marche presque sur l’eau».

Elle a pris les mesures qu’il fallait, porté un masque, respecté la distanciation, et planifié ses entrevues à l’avance. Elle choisit aussi d’éviter certains lieux très populaires en période de campagne, pour des raisons de sécurité.

«J’ai comme règle d’éviter les casse-croûte», a-t-elle confié.

La pandémie qui a immédiatement transformé la campagne présidentielle de 2020 a aussi contraint les médias à en repenser la couverture. Cette réflexion se poursuit: plusieurs journalistes qui ont accompagné M. Trump au Nevada dimanche sont restés à l’extérieur quand ils ont appris que le président rencontrerait ses partisans à l’intérieur.

Pendant des mois, les patrons des salles de nouvelles se sont demandés s’ils couvriraient une campagne sans campagne, même si le rythme s’accélère depuis la fête du Travail.

«D’une certaine manière, ça nous a donné l’occasion de réévaluer comment nous faisons les choses, a dit le responsable de la couverture politique du Washington Post, Peter Wallsten. Ce n’est pas évident que la façon dont les médias couvraient les campagnes dans le passé était la bonne.»

Après un résultat qui en a surpris plusieurs en 2016, pratiquement tous les médias prévoyaient cette année de parler à plus d’électeurs, surtout dans les États qui peuvent aller aux démocrates comme aux républicains.

Les restrictions imposées aux déplacements et les questions de sécurité leur compliquent la tâche.

Le New York Times s’est doté d’un réseau de pigistes dans les États de premier plan, souvent des journalistes aguerris que la récession a envoyés au chômage. Le quotidien en compte trois au Wisconsin, un État où le vote sera serré et qui se retrouve à l’avant-plan des manifestations pour la justice raciale.

«Je ne veux pas être à New York et supposer que je sais ce que pensent les banlieusards de Milwaukee de Donald Trump ou de Joe Biden», a expliqué l’éditeur politique du Times, Patrick Healy.

Les journalistes ont déniché des histoires qui ne sont peut-être pas strictement politiques, mais qui jettent un éclairage sur les préoccupations des communautés. M. Healy cite en exemple un article de Kathleen Gray sur la réaction d’une communauté du Michigan au congédiement de la directrice de la chorale d’une église, une lesbienne récemment mariée.

Plusieurs des principaux journalistes de Politico n’habitent pas Washington — Tim Alberta au Michigan, Holly Otterbein en Pennsylvanie et Marc Caputo en Floride. Quand un récent sondage a témoigné d’un engouement inattendu des Latinos floridiens pour M. Trump, M. Caputo a rappelé la popularité d’un youtubeur espagnol qui s’est récemment rallié à M. Trump, un facteur difficile à saisir de l’extérieur, a expliqué l’éditrice politique de Politico, Carrie Budoff Brown.

Avant que la COVID-19 ne s’invite dans la campagne, l’Associated Press encourageait ses journalistes à récolter les numéros de téléphone et courriels des électeurs avec qui ils souhaitaient garder contact. Cela se révèle aujourd’hui une ressource précieuse, tout comme les employés de l’agence sur le terrain à travers le pays, a dit la chef de bureau de l’AP à Washington, Julie Pace.

Mme Pace aimait beaucoup approcher les gens dans le stationnement d’un magasin Target pour leur demander leur opinion. C’est maintenant très difficile.

«Quel est le nouveau stationnement?, a-t-elle demandé. Je ne sais pas.»

Les journalistes doivent utiliser leurs téléphones plus que jamais. Selon M. Wallsten, il était difficile pour les lecteurs du Washington Post de savoir que Jose A. Del Real n’était jamais sorti de Washington, le mois dernier, pour son reportage sur les électeurs latinos de Grand Rapids, au Michigan.

«Les gens se promènent, les messages circulent, a dit la présidente de CBS News, Susan Zirinsky. On n’assiste pas physiquement aux rassemblements ou à certains événements, mais on ne rate pas d’histoires. Je pense que ça nous permet d’approfondir les sujets qui intéressent vraiment les Américains.»

Plusieurs médias embauchent des journalistes qui suivent les candidats sur la route. Il s’agit habituellement de jeunes reporters ambitieux qui n’ont pas peur des longues journées, des discours répétitifs et de la nourriture douteuse. Ils sont cloués au sol depuis des mois.

«Nous avons dû être plus créatifs, a expliqué Mme Brown. D’une certaine façon, c’est libérateur. Nous n’avons plus à nous assurer de couvrir cinq choses différentes. Ça les a libérés de la tyrannie des événements.»

Se précipiter à un endroit pour entendre un discours, puis attendre à l’aéroport pour aller en entendre un autre, gaspille souvent le temps d’un bon journaliste. Plusieurs médias accordent maintenant plus de temps aux histoires prometteuses, comme celle du Times qui racontait comment l’énorme avantage financier de M. Trump face à M. Biden s’est évaporé.

Cette nouvelle liberté permet aux journalistes de pourchasser agressivement des histoires inattendues, comme les manifestations pour la justice sociale ou les inquiétudes qui entourent l’intégrité du vote postal. L’AP a désigné dix journalistes pour couvrir le service postal américain et les questions d’accessibilité.

Même si certains dénigrent la couverture quotidienne de la campagne, c’est quand même ce qui permet aux journalistes d’évaluer les candidats dans différentes situations et de leur poser des questions.

«Je pense vraiment qu’on perd quelque chose», a admis Mme Pace. Dans le cas de M. Biden, «nous avons pratiquement passé tout l’été sans avoir cette occasion», a-t-elle ajouté.

Le premier débat aura lieu le 29 septembre. Les rencontres organisées par les médias entre les candidats et leurs électeurs, et que la pandémie avait envoyées aux oubliettes, reviennent cette semaine — ABC a M. Trump mardi et CNN a M. Biden jeudi.

«Ces événements, qui sont toujours difficiles, deviennent extrêmement difficiles avec la pandémie», a dit le président d’ABC News, James Goldston.

M. Goldston essaie de s’assurer que toutes les règles sanitaires seront respectées. Il a commandé 60 litres de désinfectant pour les mains, 3200 lingettes désinfectantes et 1600 masques. Plus de 300 sièges seront aussi vides.

CNN utilise des microperches et limite le nombre d’employés qui peuvent voyager dans la même voiture en raison de la COVID-19, a dit le chef de bureau du réseau à Washington, Sam Feist. Ces questions de sécurité prennent une nouvelle importance, maintenant que la campagne semble plus traditionnelle.

Les journalistes d’ABC, de CBS, de NBC, de Fox News Channel et de CNN sont restés à l’extérieur lors du rassemblement de dimanche au Nevada. Certains médias ont permis à leurs journalistes de décider par eux-mêmes s’il leur semblait sécuritaire d’assister à un événement pendant lequel pratiquement personne ne portait de masque.

Pour Mme Raddatz, d’ABC News, son voyage à travers le pays est une extension de son périple d’il y a quatre ans. Elle trouve intéressant de s’éloigner des querelles quotidiennes à Washington pour aller à la rencontre des électeurs et découvrir que leurs positions sont très nuancées.

La journaliste, qui a couvert les conflits en Iraq, en Afghanistan et en Bosnie, affirme qu’elle sait se protéger.

«J’ai pris des risques dans ma vie pour les choses qui me semblaient importantes, a-t-elle dit. Ça tombe dans cette catégorie.»

David Bauder, The Associated Press



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