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J’ai attrapé un problème d’alcool pendant la pandémie  

Alcool
Êtes-vous à un verre de l'alcoolisme? Photo: Ana Itonishvili/Unplash

Un apéro Zoom par-ci, un verre de vin en fin de journée par-là. Juste pour se détendre, juste pour passer le temps. Rien de bien méchant. C’est ce que se disait Marie-Ève* au début de la pandémie, avant que l’alcool ne devienne un problème bien réel. Témoignage. 

«Pour réduire le stress, vous pouvez faire de l’exercice, mais parfois un verre de vin peut aider», suggérait le premier ministre François Legault lors d’un point de presse en mars 2020.  

C’est justement pour faire face au stress et à l’ennui que Marie-Ève a commencé à boire régulièrement. «Avant la pandémie, je consommais seulement de temps en temps, la fin de semaine ou dans un contexte social. Je crois que toutes mes obligations me forçaient à être raisonnable», raconte-t-elle.  

Mais, en mars 2020, les trois entreprises qu’elle gère sont durement frappées par le confinement, deux d’entre elles œuvrant dans le domaine de la restauration. Le gym, où elle passe beaucoup de son temps, ferme également.  

Sur les réseaux sociaux, chacun gère le confinement à sa manière et plusieurs se servent un verre à la maison. «Ça faisait presque partie de l’expérience du confinement», se souvient Marie-Ève.  

Progressivement, l’habitude s’installe. Tous les soirs, après 17h, elle boit son premier verre de vin. Puis un deuxième, un troisième et parfois un quatrième. Le matin, le réveil devient difficile et la motivation décline. 

Un jour, je me suis dit “ce soir, j’aimerais ça ne pas boire”, mais je n’ai pas été capable. C’est là que je me suis rendu compte qu’il y avait un problème.

Marie-Ève

C’était il y a un an et demi. Depuis, Marie-Ève est allée voir son médecin de famille qui a jugé que ce n’était «pas si grave», puis elle a tenté de travailler avec une coach de vie qui n’était manifestement pas qualifiée, pour finalement se retrouver seule face à son problème d’alcool.  

«Le contexte actuel est encore très stressant, avec les mesures sanitaires, les fermetures partielles ou totales… Ça fait aussi en sorte qu’on ne peut pas voir tellement de gens. Si je pouvais prendre le temps d’en parler avec une amie, de chercher une solution ensemble, ça serait moins difficile, je pense. Mais là, je me sens pas mal seule là-dedans», confie-t-elle.  

Un contexte favorable 

Selon Anne Elizabeth Lapointe, directrice de la Maison Jean Lapointe, un organisme qui offre des services de réadaptation aux personnes alcooliques, Marie-Ève n’est certainement pas la seule à avoir développé une dépendance à l’alcool ces deux dernières années. Tout dans le contexte actuel est «propice au dérapage», d’après elle.  

«On est presque tout le temps à la maison, à l’abri des regards, ce qui crée un manque d’encadrement et rend la perte de contrôle plus probable, explique Mme Lapointe. On peut aussi être tenté de boire pour se désennuyer et pour faire face aux émotions négatives générées par la pandémie.» 

Sauf que consommer de l’alcool n’est pas une habitude anodine. À force de boire, notre organisme devient de plus en plus tolérant à l’alcool et, au bout de quelques mois, on peut  développer une accoutumance. 

«C’est aussi plus facile de cacher sa consommation. En restant à la maison, il y a moins de chances que l’entourage se rende compte du problème. Si on a la gueule de bois, mais qu’on est en télétravail par exemple, ça se peut que personne ne s’en aperçoive», dit-elle.  

Consommer à la maison 

Les résultats des ventes de la SAQ reflètent d’ailleurs les changements causés par la pandémie sur les habitudes de consommation des buveurs. Dans son dernier rapport annuel, la SAQ enregistrait 222,3 millions de litres d’alcool vendus en 2020-2021, soit une hausse de 2,2%.  

Si cette augmentation peut paraître minime, il faut se rappeler que les ventes d’alcool dans les commerces comme les restaurants ont fortement diminué en raison des fermetures successives. «Ceci, jumelé à d’autres impacts de la pandémie […], a contribué à l’augmentation des ventes auprès des consommateurs de 361,1 M$», souligne la SAQ.  

On achète donc désormais soi-même son alcool pour le consommer à la maison plutôt qu’au bar ou au restaurant. Et on en achète aussi plus à la fois pour «faire des réserves», note le rapport. Le panier moyen d’achats a ainsi augmenté de près de 50%.

Photo : Thomas Picauly/Unsplash

Alors que les succursales ont connu une baisse de fréquentation, la vente en ligne a carrément explosé, avec une augmentation des commandes de plus de 130%.  

Depuis le début de la pandémie, «l’alcool est resté accessible presque en tout temps et ça n’aide pas à réduire la consommation», confirme Marie-Ève.  

«Avec le service de livraison de la SAQ, on n’a même pas besoin de sortir de chez soi. C’est encore plus facile de se laisser tenter», surenchérit Anne Elizabeth Lapointe.  

Trouver de l’aide 

Un peu «refroidie» par sa mauvaise expérience avec sa coach de vie et l’absence de soutien de son médecin, Marie-Ève souhaite malgré tout recevoir de l’aide pour reprendre le contrôle de sa consommation

Elle s’est inscrite au groupe Facebook des Alcooliques Anonymes, où elle lit les témoignages d’autres personnes, ce qui l’aide à se sentir moins seule.  

D’après l’administrateur du groupe, plus de 3000 nouveaux membres se sont d’ailleurs inscrits en l’espace de deux ans. Mais, la pandémie n’a pas eu que du mauvais, puisqu’elle a aussi poussé les Alcooliques Anonymes à organiser des réunions en mode virtuel, rendant ainsi la participation plus accessible.  

Du côté des centres de traitement tels que la Maison Jean Lapointe, la capacité d’accueil a été réduite depuis l’arrivée du virus. «Beaucoup de gens sont sur la liste d’attente, indique la directrice. Il y a donc des personnes qu’on ne peut pas aider dans l’immédiat et qui se retrouvent entre deux chaises.» 

Là aussi, il a fallu s’adapter et se tourner rapidement vers le virtuel. «Pour les cas qui ne nécessitent pas un sevrage urgent, le suivi en ligne s’est montré très efficace, souligne Mme Lapointe. Les gens arrivent à atteindre l’abstinence, même en virtuel, et on les suit de cette manière jusqu’à ce qu’une place se libère au centre.»

*Le nom de cette personne a été modifié afin de préserver son anonymat.

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