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Les immigrants face à l’intégration alimentaire

Photo: Mélanie Dusseault\collaboration spéciale

Un ouvre-boîte, une cuisinière, un congélateur – autant d’objets qui font partie de notre quotidien et dont l’utilisation nous semble naturelle. Pourtant, ça ne l’est pas pour tout le monde. À leur arrivée au Canada, les nouveaux arrivants doivent s’adapter au système alimentaire d’ici, comme ils le font à la nouvelle langue ou au climat. Métro a discuté avec la nutritionniste Marianne Lefebvre, spécialisée en nutrition internationale, qui a fondé l’entreprise Intégration nutrition.

Qu’est-ce qu’Intégration nutrition? À quels besoins votre entreprise répond-elle?
Les services que j’offre aux nouveaux arrivants sont vraiment ciblés en fonction des problématiques qu’on voit le plus couramment, comme la conservation ou l’approvisionnement. Il y a des difficultés sur le plan de la conservation des aliments. Il y a plusieurs pays dans le monde qui ne consomment pas, par exemple, de produits en conserve. Un jour, je suis allée rencontrer une Haïtienne qui ne comprenait pas pourquoi ses enfants avaient toujours la diarrhée. On a découvert que c’était parce qu’elle ouvrait les boîtes de conserve avec deux tiges de métal qui rouillaient et qui donnaient le botulisme à ses enfants. Elle ne connaissait tout simplement pas l’existence des ouvre-boîte.

Il y a une autre problématique majeure au niveau du circuit d’approvisionnement. Une femme africaine m’a raconté qu’au début, elle ne comprenait pas pourquoi le boucher du supermarché ne lui permettait pas de négocier le prix de la viande. Chez elle, tout peut être négocié, contrairement à ici. C’était une difficulté pour elle, car elle ne comprenait pas comment fonctionnaient les prix.

Il y a aussi une éducation à faire sur les produits locaux. Au Québec, on a une très grande variété de fruits et légumes, contrairement à beaucoup de pays dans le monde et, souvent, les nouveaux arrivants ne savent pas comment cuisiner les aliments qu’ils trouvent à l’épicerie. Ils seront portés à acheter les aliments qu’ils trouvaient dans leur pays d’origine, et ces aliments-là sont souvent beaucoup plus chers [parce qu’ils sont importés, plutôt que cultivés ici]. De plus, dans beaucoup de régions du monde, les gens s’approvisionnent dans les marchés. En arrivant au supermarché ici, il y a plein d’aliments qu’ils n’ont jamais vus, comme les céréales, les barres tendres et les produits préparés, pour ne nommer que ceux-là.

Le Québec accueillera plusieurs milliers de réfugiés syriens au cours des prochains mois. Y a-t-il certaines problématiques qu’ils devront affronter sur le plan alimentaire à leur arrivée?
Il y a des problématiques qui sont propres à chaque communauté et qui se retrouvent à l’intérieur d’une même communauté. Pour les Syriens, il risque d’y en avoir un grand nombre qui arrivera dans un état de dénutrition assez sévère parce que plusieurs auront été en terrain de guerre depuis plusieurs années. D’où l’importance de faire de l’éducation nutritionnelle avec eux assez rapidement. Malheureusement, une problématique que l’on observe avec les immigrants, c’est qu’ils n’ont pas de médecin de famille et ils ne contactent pas de professionnels de la santé. Il faudra donc leur faire connaître les ressources qui sont à leur disposition. Pour traiter la dénutrition, ça prend un suivi individuel.

«Si une Québécoise s’en va vivre en Afrique du Sud demain matin et qu’elle essaie de cuisiner le manioc et l’igname avec une casserole et des briquettes de charbon, même si c’est une excellente cuisinière au Québec, ça va être difficile.»

Minimise-t-on l’importance d’informer les nouveaux arrivants sur notre système alimentaire? Est-ce un réel enjeu pour eux?
On minimise ça beaucoup trop, selon moi. Il y a plusieurs études qui démontrent que l’immigrant moyen arrive au Québec dans un état de santé supérieur au Québécois moyen. L’une des raisons, c’est que la santé est l’un des critères qui sont considérés pour le choix des immigrants. Les études montrent que, plus ça fait longtemps que l’immigrant demeure au Québec, plus son état de santé se dégrade. Il y a de plus en plus de problèmes de santé dans ces populations, d’où l’importance d’une bonne éducation. Il y a beaucoup de formations pratico-pratiques qui sont données aux immigrants, mais dans le domaine de la nutrition, sur la façon de bien se nourrir au Québec, il n’y en a pas vraiment.

À quoi ça ressemble, une formation d’Intégration nutrition?
Je fais plein de choses différentes. Je vais en épicerie faire de l’éducation. Par exemple, une journée, on va s’attarder aux protéines ou aux aliments riches en fer. On va voir comment intégrer ces aliments dans leur alimentation. On peut faire aussi des formations plus théoriques, avec beaucoup d’échanges. On peut parler notamment de l’alimentation des enfants. Je fais aussi des ateliers culinaires; ça plaît beaucoup.

Intégration nutrition Intégration nutrition

À votre connaissance, êtes-vous la seule à offrir ce type de services au Québec?
Oui, et bien humblement, je n’ai pas vu que ça existait ailleurs. Au début de ma carrière, je travaillais dans un CLSC qui suivait beaucoup d’immigrantes enceintes et leurs bébés. Je voyais souvent des femmes dénutries, et ce n’était pas parce qu’elles étaient pauvres ou peu scolarisées. Par exemple, j’avais rencontré une femme africaine enceinte de jumeaux, arrivée au Québec depuis trois mois. Elle était dans un état de dénutrition sévère. En arrivant chez elle, dans son beau condo, il y avait de la nourriture partout, mais elle ne savait même pas comment utiliser la cuisinière. Je lui avais donc appris des notions de base comme comment décongeler de la viande, comment la faire cuire, etc. Je ne pouvais pas croire qu’aucun service n’existait pour apprendre aux immigrants comment fonctionne une cuisine ou une épicerie. C’est comme cela qu’est née mon entreprise.

Qui sont vos clients principalement?
La plupart de mes clients sont des entreprises qui engagent des immigrants ou des organismes qui s’occupent de l’accueil des immigrants. Je travaille aussi à la commission scolaire, avec des classes de francisation. Cet automne, j’ai aussi fait beaucoup de formation auprès des nutritionnistes pour leur apprendre comment adapter leurs pratiques aux différentes communautés culturelles.

On a parfois l’impression que l’alimentation s’est beaucoup occidentalisée dans le monde, avec des entreprises comme McDonald’s ou Coca-Cola qui sont présentes partout…
Oui, mais même s’il y a des restaurants McDonald’s en Haïti, il n’y a qu’environ 1% de la population qui peut s’en payer. Les 99% autres vivent avec un McDo dans leur ville mais n’ont pas les moyens d’y aller. Même s’il y a des choses qui sont vraiment mondialisées, il n’en reste pas moins que les méthodes de cuisson, de préparation et de conservation sont très différentes d’un pays à l’autre.

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