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Opinion – High Score ou le problème du révisionnisme vidéoludique

High Score présente l’histoire alternative du jeu vidéo

Lorsque j’ai appris l’existence du documentaire Netflix High Score, j’étais curieux mais sceptique comme toujours. En tant qu’historien du jeu vidéo, c’est en partie mon devoir d’étudier ces objets avec un œil critique. Puis, ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire la grimace. J’en ai vu des documentaires sur l’histoire du jeu qui se veulent complets et pertinents et justes. Mais ils prennent toujours des raccourcis, font des oublis impardonnables ou véhiculent carrément des choses fausses et les hissent en tant que vérité. Le grand public pensera que ce n’est pas si grave, ou « que ce sont des petites choses pas pertinentes et qui n’apportent pas grand chose à la grande histoire. » comme on me l’a dit. Malheureusement, High Score tombe en plein dans cette catégorie. Ça ne veut pas dire que tout est à jeter. Simplement que l’enrobage a, à nouveau, primé sur le contenu.

Le premier épisode est vraiment le pire. Prétextant raconter les débuts de l’industrie, il n’y a pourtant pas un mot, pas une mention de l’inventeur des jeux vidéo lui-même, Ralph H. Baer. Rien que pour cela, ce documentaire perd toute crédibilité. Que la volonté du ou des documentaristes soit de se concentrer sur d’autres aspects est une chose. Oublier celui qui est à l’origine de notre medium en est une autre, bien plus grave. Le pire, c’est que je pense que c’est au delà de l’oubli et que c’est un choix qui a été fait en connaissance de cause pour mettre en lumière d’autres aspects soit disant plus pertinents. Game Over comme on dit. Mais si ce n’était que ça…

Ralph Baer qui pose fièrement aux côtés de l’Odyssey, la véritable première console à cartouche contrairement à ce que prétend High Score. Crédit: Ralph Baer Collection

Entre mythes et erreurs factuelles

Le documentaire débute par un entretien passionnant avec Tomohiro Nishikado, le créateur de Space Invaders. J’imagine que vous voyez où je veux en venir. On a en effet encore droit au mythe, à l’idée reçue que le jeu d’arcade a été à l’origine d’une pénurie de pièces de 100 yen tant il était populaire. Pure invention ! Alors les mauvaises langues, les avocats du diable diront que ce n’est qu’un clip sonore d’une seconde. Ce à quoi je rétorque que peu importe la forme que cela prend. Il est présent dans le documentaire et personne ne vient le contredire ce qui veut donc dire que c’est la vérité. Au mieux c’est une maladresse et au pire c’est de la désinformation outrageante. Cette légende urbaine, on la doit Martin Amis, auteur de « Space Invaders: An Addict’s Guide to Battle Tactics, Big Scores and the Best Machines » Car comme le dit l’article « Insert Coin to Play: Space Invaders and the 100 Yen Myth » de Charles Paradis, chaque fois que quelqu’un évoque la source de ce mythe, c’est toujours le même coupable. De le retrouver, encore, dans un documentaire de premier plan sur un service de vidéo à la demande plus que connu, est pénible, rageant, et lui enlève toute crédibilité.

Parmi la myriade d’erreurs de ce premier épisode, citons pêle-mêle, l’Atari 2600 dont le premier jeu inclus en bundle n’était autre que Space Invaders alors que l’adaptation n’est apparue qu’en 1980 et que dès 1977 la console était vendue avec Combat; la Fairchild Channel F devient grâce à High Score, la première console à cartouche interchangeable. Quid de l’Odyssey de Magnavox ?; toutes les consoles Pong ne permettaient de ne jouer qu’à un seul jeu, Pong alors que de nombreuses consoles de cette époque permettait de jouer à des variantes en utilisant la même puce.

Le premier bundle Atari VCS avec la cartouche Combat date de 1977. On est donc 3 ans avant le portage de Space Invaders. Crédit: The Ancient Gaming Noob

On est au delà du duel d’initié pour savoir si le premier véritable jeu vidéo est CRT Amusement Device ou Tennis for Two. Ici, on parle de faits très facilement vérifiables autrement que sur Wikipédia. De plus, cette façon de changer l’Histoire porte un nom : le révisionnisme. C’est pourquoi je m’insurge autant.

D’un autre côté, et c’est également pour cela que ce documentaire et en particulier ce premier épisode est si frustrant, c’est qu’il évite des pièges pourtant difficiles comme dire qu’E.T. est responsable du krach du jeu vidéo ou que Jerry Lawson a inventé les cartouches de jeu vidéo programmables. Le mystère reste donc entier. D’autant plus que le dernier épisode s’achève en présentant Nolan Bushnell comme le fondateur d’Atari au lieu de co-fondateur avec feu-Ted Dabney.

Un bel enrobage pour faire passer la pilule

Ce qui rend la pilule facile à avaler pour le grand public, cible toute trouvée de ce documentaire, c’est son habillage. Je ne peux rien reprocher à cet enrobage très réussi si ce n’est qu’il distrait beaucoup du contenu. Entre les passages animés tout en pixel art, les nombreux effets visuels qui permettent de se représenter les étapes et émotions des personnes impliquées, les producteurs ont mis le paquet.

Un exemple d’une scène animée en pixel art. Crédit: Netflix

On sent de facto que c’est la forme qui a privilégié sur le fond et c’est d’une tristesse infinie. Le budget n’est pas allé dans la recherche mais dans les effets. Vivons-nous vraiment dans un monde où le contenant est d’une importance telle qu’il pardonne des erreurs qu’on n’aurait pas laissé passé sinon ? Doit-on vraiment se contenter d’un sous-produit pourvu que l’habillage soit flashy ? Personnellement, je refuse et je continuerai de me concentrer sur le fond aussi belle soit la forme. Je continuerai à rétablir la vérité historique en utilisant tous les canaux que j’ai à ma disposition. Je continuerai de trouver cela grave que mon entourage se moque « de quelques petits détails. »

Un texte de Antoine Clerc-Renaud de Jeux.ca

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