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Mohamed Lotfi: reconnaissance pour un artiste en «prison»

Mohamed Lotfi producteur souverains anonymes
Mohamed Lotfi. Photo: Collaboration spéciale/Éric Labonté

Mohamed Lotfi, créateur de l’émission de radio Souverains anonymes, réalisée à la prison de Bordeaux, a reçu coup sur coup deux reconnaissances dont le prestigieux prix du Québec Guy-Mauffette. Il s’agit de la plus haute distinction attribuée pour une contribution remarquable à l’excellence de la radio, de la télévision ou de la presse écrite québécoise. Un prix qu’il souhaite utile pour faire perdurer son émission et surtout la cause qu’il défend: la réhabilitation des détenus.

Que signifie pour toi une telle distinction ?

J’essaye de donner un sens à un prix et dans ce cas, pour moi, c’est celui du partage parce que je ne suis pas tout seul dans cette aventure et j’ai eu beaucoup d’aide. D’ailleurs, celui avec qui je partage le plus c’est lui-même qui a déposé ma candidature, Michel Mongeau [animateur à Radio-Canada]. Il a fait de Souverains anonymes sa cause et depuis quatre ans il œuvre pour que j’obtienne ce prix. Malheureusement, Michel nous a quittés le 11 novembre, une semaine après la remise. Il est parti extrêmement heureux. Quand la ministre m’a appelé, j’ai tout de suite pensé à lui et quand je le lui ai dit, il était bien plus heureux que moi. Personnellement, je n’ai jamais couru après les prix.

Pourtant, il semble que les honneurs pleuvent sur toi ces derniers temps ?

Effectivement, il y a eu le prix de l’Association des services de réhabilitation du Québec [reçu le 23 octobre] qui décernent tous les deux ans un prix à une personne qui contribue à l’action communautaire de la réhabilitation des personnes judiciarisées. Je connais bien cette association et la présidente de son conseil d’administration est celle qui m’a fait entrer à la prison de Bordeaux il y a 31 ans.

Ce n’est pas la première fois que tu es honoré par des prix. En quoi ceux-ci sont particuliers ?

C’est la première fois qu’on les souligne. La médaille de l’Assemblée nationale, celle des services correctionnels ou le prix Oeuvres magistrales du Trust pour la préservation de l’audiovisuel du Canada, décerné précédemment à des gens aussi prestigieux que René Lévesque ou Michel Brault, n’avaient pas été médiatisés. Aujourd’hui, alors qu’on est en pandémie alors que je ne suis pas en contact avec les souverains [les détenus NDLR] ces prix arrivent.

Au bout de 31 ans de travail à quoi serviront-ils ?

Je souhaite que ces prix fassent que Souverains anonymes ne m’appartienne plus. Pour quelqu’un qui crée une œuvre, le signe de sa réussite, c’est quand les autres se l’approprient. Ce sera l’étape qui doit arriver, sinon Souverains anonymes tombera dans l’oubli et je ne le souhaite pas.

Ton émission met en lumière les gens qui sont à l’ombre. Est-ce que ces prix contribuent à la même chose?

Je veux être très franc, j’ai des doutes. Il y’a derrière les prix une reconnaissance par rapport à la démarche. Cela je ne peux pas le nier. Cela veut dire qu’au Québec, il y a des gens qui sont contents de savoir que quelqu’un fait quelque chose pour les détenus, mais sans nécessairement s’intéresser aux gens en prisons. Sans les écouter.

Il faut savoir qu’il y a un message derrière Souverains anonymes, c’est celui de la réhabilitation. Il faut la promouvoir et l’encourager parce qu’elle représente la vraie sécurité qu’une société peut s’offrir. Permettre aux personnes judiciarisées de revenir dans la société, de se réinsérer, de s’épanouir et être beaucoup moins dangereux et criminels que lorsqu’ils sont rentrés, c’est cela ma cause. Est-ce qu’elle est entendue comme je viens de le décrire? Je ne suis pas sûr du tout.

Pourtant, on parle souvent de ton émission notamment dans les médias. Est-ce qu’on n’a pas compris ta démarche ?

Ce qui est assez incroyable, c’est que Souverains anonymes est connue, mais elle n’est pas écoutée. Il n’y a pas une semaine ou on ne m’écrit pas ou ne m’arrête pas dans la rue pour me dire que ce que je fais est bon et quand je demande as-tu déjà écouté on me dit non, mais j’ai lu des reportages sur le sujet. Pour moi, le vrai prix est quand quelqu’un m’arrêtera dans la rue et me dira; ‘‘j’ai écouté telle ou telle émission et j’ai aimé les propos qu’on a tenus, cela a changé ma vision de la prison’’.

Tu annonçais récemment que tu allais changer la forme de Souverains anonymes, l’alléger parce que le travail devenait pesant avec le temps. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Mon projet c’est de mettre l’accent sur le théâtre. Il ne s’agira pas pour les souverains de jouer des œuvres classiques, mais de jouer leurs propres rôles à partir de leurs propres textes pour les amener par cet art à prendre une certaine distance sur leur réalité, pour mieux se voir et se faire un meilleur plan pour l’avenir. Cela pourrait contribuer à cette réinsertion et à cet épanouissement. Je vais éventuellement filmer le résultat de ce travail et on va pouvoir le voir.

Des archives de Souverains anonymes qui correspondent à l’actualité sont diffusées sur CIBL 101.5 FM, tous les jeudis à 20h en reprise le dimanche à 11h.

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