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Avant Roxham: traverser la jungle

Gephte Oreste aura mis près de quatre ans pour faire le trajet d'Haïti jusqu'au Canada, le tout majoritairement à pied. Photo: Quentin Dufranne / Métro Média

De nombreux demandeurs d’asile qui arrivent au Canada en provenance de l’Amérique du Sud n’oublieront jamais cette épreuve de leur périple: la traversée de la jungle du Darién, dernière étape avant d’arriver au Panama.

Avant Roxham retrace le parcours d’immigrants qui ont emprunté le désormais célèbre chemin pour venir au Québec, mais dont l’histoire a commencé bien avant…

Gephte Oreste, jeune demandeur d’asile d’origine haïtienne, se souviendra toute sa vie des cinq jours qu’il a passés dans cet environnement hostile.

Face au climat d’insécurité grandissant en Haïti, Gephte voulait repartir de zéro avec en tête ce rêve de vivre un jour au Canada. «Depuis que je suis tout petit, mon rêve était de venir ici, car il y a une vie stable, sans gangsters. Pour moi, la meilleure vie était là où il n’y a pas de stress et de craintes pour notre santé.» 

Il s’est d’abord rendu au Chili par avion, en 2017, grâce aux économies de son père. Il avait alors 22 ans. Il y est resté plus de trois ans, travaillant dans les champs de fruits et sur les chantiers, où il a toutefois été victime de racisme.

Quand j’ai pris la route, je ne pensais pas aux choses qui pouvaient m’arriver, je me disais juste qu’il fallait que je réussisse. 

Gephte Oreste, demandeur d’asile 

Gephte a rencontré sa femme, aussi originaire d’Haïti, au Chili. C’est là que le couple a eu un premier enfant. Face au climat d’insécurité de plus en plus important, ils ont décidé d’entamer un périple d’un mois pour traverser le Pérou, puis l’Équateur, avant d’arriver en Colombie, au nord de laquelle se trouve la jungle du Darién.

«J’ai vu beaucoup de personnes mortes»

La jungle du Darién, forêt vierge de 575 000 hectares, est traversée de nombreux cours d’eau. Elle abrite des jaguars, des crocodiles et des couleuvres, entre autres bêtes.

Le parcours de Gephte. Crédit: Métro

Gephte et sa femme ont pénétré dans la forêt munis tous les deux d’un sac à dos, de quelques couches, d’un peu de lait, de nouilles et d’un sérum sucré. Ils portaient tour à tour leur enfant sur leurs épaules. Uniquement vêtus d’un chandail, d’un pantalon et de souliers de tennis, ils se sont joints à un groupe d’une quarantaine de personnes venues de divers pays. Le groupe commençait la marche dès l’aube, à 6h, et continuait sa route jusqu’à 19h, sans interruption.

«J’ai vu beaucoup de personnes mortes, car le parcours est vraiment, vraiment dur. Il y a beaucoup de bêtes sauvages. On ne peut pas dormir et on reste assis jusqu’au matin. Puis, dans la journée, on prend trente minutes de repos et on continue.»

«Les premiers jours se passent bien, mais à partir du troisième jour, on manque de nourriture et on n’a pas assez de force. Si tu commences la route avec dix personnes, ce n’est pas dix personnes qui vont arriver jusqu’au bout.»

À un certain point, la femme de Gephte, épuisée, ne parvenait plus à allaiter leur enfant.

Des cours d’eau où coulait la mort

Outre la faim et les animaux sauvages, un des plus grands dangers était les nombreux cours d’eau aux puissants courants qu’il fallait traverser, alors que plusieurs voyageurs ne savaient pas nager. 

«Des fois, l’eau nous arrivait jusqu’au cou. Les gens s’accrochaient entre eux pour traverser.»

Il se souvient d’un moment où, assoiffé, il s’est abreuvé à un de ces cours d’eau et a senti une masse flottante à ses côtés. Il s’agissait du corps d’une personne qui s’était noyée.

«Si j’avais beaucoup pensé à ces personnes mortes, je n’aurais pas pu continuer et je me serais dit que j’allais mourir aussi. La vie, c’est comme ça. On cherche la vie, mais des fois on la perd…»

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En émergeant de la jungle, la famille ne pouvait presque plus marcher. Les services frontaliers du Panama l’ont aidée à leur arrivée, en lui offrant de la nourriture et un lieu où se reposer. 

Mais même après avoir survécu à la jungle colombienne, la famille n’avait pas fini sa route, devant encore parcourir à pied toute l’Amérique centrale, jusqu’au Mexique.

Au Honduras, une milice les a arrêtés. Une arme pointée sur la tête, Gephte a dû céder deux sacs d’effets personnels, ainsi que tous leurs papiers d’identité. 

Au total, la famille a mis près de quatre ans pour faire le trajet d’Haïti jusqu’au chemin Roxham, emprunté pour se rendre au Québec. «Quand je suis arrivé ici, je me suis dit: “Merci, mon Dieu! J’ai réussi ma vie.”»

Gephte et sa famille vivent désormais dans l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville. Différents organismes les soutiennent comme l’organisme Pause Famille qui les accompagne dans leur nouvelle vie.

Les demandeurs d’asile sont «des personnes qui ont quitté leur pays et demandent à être protégées de persécutions et de graves atteintes aux droits humains commises dans un autre pays, mais qui n’ont pas encore été reconnues légalement comme des réfugiés et attendent qu’il soit statué sur leur demande d’asile» [source: Amnistie internationale]. 

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