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Patrimoine : les (longs) délais ministériels pourraient nuire aux bâtiments

Le bain Morgan Photo: Archives

Les délais exagérément longs du ministère de la Culture à traiter les demandes de classement patrimonial des bâtiments pourraient nuire à la valeur patrimoniale même des édifices à l’étude. Explications.

À la suite d’une demande émise par Patrimoine Homa, un groupe de citoyens qui s’opposent au projet d’agrandissement de la bibliothèque Maisonneuve, Québec mène en ce moment une « analyse poussée de la valeur patrimoniale » de trois bâtiments d’Hochelaga-Maisonneuve : l’ancien Hôtel de ville de Maisonneuve (devenu la bibliothèque Maisonneuve depuis 1981), le Bain Morgan et le Marché Maisonneuve.

Bien que la valeur patrimoniale de ces bâtiments soit jugée « exceptionnelle » par la ville de Montréal, qui les qualifie en outre de « témoins importants de l’ancienne ville de Maisonneuve », ils ne jouissent pour l’instant d’aucun statut provincial.

Pour déterminer l’intérêt patrimonial d’un bien, le ministère de la Culture et des communications (MCC) s’appuie en fait sur une évaluation comprenant 11 « valeurs » prévues dans la Loi sur le patrimoine culturel (dont celles historique et architecturale) et 6 critères qu’il a lui-même établis : ancienneté, authenticité, intégrité, rareté, représentativité, unicité.

Patrimoine Homa espère qu’en étant classé, l’édifice sera protégé. Rappelons que le groupe estime que l’actuel agrandissement se fait au détriment de l’héritage patrimonial de l’édifice.

« Un classement provincial inclurait une aire de protection autour du bâtiment, croit l’un des citoyens à l’origine de la demande, Denis Côté. C’est très sévère. Dans MHM, seul le Château Dufresne est ainsi protégé. Sa rénovation actuelle n’inclut aucun agrandissement.»

Le premier « hic » ? Cela fait deux ans qu’il attend une réponse du ministère.

Un délai qui pourrait considérablement s’allonger, si l’on en croit un rapport incendiaire du Vérificateur général du Québec publié en juin dernier.

Des délais de traitement « démesurés »

Ce rapport sur la sauvegarde et la valorisation du patrimoine immobilier dénonce en effet des délais « considérablement longs » voire « démesurés » du MCC quant à l’étude des demandes de classement.

Sur 20 biens immobiliers classés entre le 1er janvier 2014 et le 30 novembre 2019, il s’est écoulé dans 40 % des cas plus de 5 ans entre la proposition de classement et la transmission de l’avis d’intention de classement par le ministre, selon le rapport.

« Le MCC ne peut justifier pourquoi certaines propositions sont toujours en traitement depuis près de 10 ans», estime le Vérificateur général.

Pire : ces délais de traitement pourraient avoir pour conséquence la détérioration ou l’altération des matériaux, des structures ou de la cohérence architecturale ou urbanistique des biens, selon le rapport.

« Certains en viennent même à perdre leur intérêt patrimonial en raison de l’absence d’intervention à l’intérieur de délais raisonnables », y lit-on.

Que la demande émise en 2018 par Patrimoine Homa soit encore à l’étude ne surprend guère l’organisme de protection du patrimoine architectural Héritage Montréal qui a patienté 19 ans pour le classement du Mont Royal, et 7 années pour Habitat 67.

« Nous attendons toujours pour le classement du Jardin botanique de Montréal, un haut lieu de la culture scientifique au Québec, voire à l’international, depuis que nous en avons fait la demande dans les années 1990 », renseigne son directeur des politiques, Dinu Bumbaru.

Du côté de l’Atelier d’histoire Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, qui occupe le deuxième étage du Bain Morgan, on estime que si une « demande de classement ne devrait pas prendre 5 ans », celle des trois bâtiments en question n’est de toute façon pas « une priorité » puisque la valeur patrimoniale de l’édifice est respectée.

Notons que l’Atelier d’histoire a appuyé et a été impliqué dans le projet de rénovation du bâtiment de A à Z.

« Oui, iI faudrait que ce soit plus rapide, déclare à Métro le directeur-historien William Gaudry. Mais les raisons de ces délais, on ne les connaît pas. Et on a confiance que la Ville ne laisserait pas dépérir ces trois bâtiments d’une haute valeur patrimoniale, et par ailleurs très bien entretenus.»

Le classement pourrait en fait ne rien changer

Le deuxième « hic »? La classification voulue ardemment par Patrimoine Homa pourrait n’avoir que peu de conséquences sur l’agrandissement des bâtiments en question, qui se trouve au coeur de la chicane.

Si la loi n’interdit pas l’agrandissement en tant que tel, seule la Ministre en place a le pouvoir de le refuser, indique ainsi M. Bumbaru. « Mais ce serait sans doute un peu compliqué au plan juridique puisque le projet est un projet public, culturel, en cours et dûment financé et autorisé par la Ville. »

Même son de cloche du côté de l’Atelier d’histoire : les travaux sont trop avancés pour qu’ils soient arrêtés.

En d’autres termes, même si Patrimoine Homa obtenait dès demain un classement patrimonial des bâtiments, l’agrandissement pourrait quand même tout à fait se poursuivre.

Quant aux « aires de protection » espérées par Denis Côté, « elles ne sont pas automatiquement décrétées lorsqu’un bâtiment est classé », explique M. Bumbaru.

« Il s’agit d’une option dont dispose la Ministre et dont le Conseil du patrimoine culturel peut faire la recommandation. Par ailleurs, il faut rappeler que la question des aires de protection a fait l’objet de certaines délégations de pouvoirs à la Ville de Montréal », dit-il.

Contacté par Métro, le ministère précise qu’« au terme de l’analyse de la valeur patrimoniale de l’ancien hôtel de ville, du bain Morgan et de l’ancien marché Maisonneuve, la ministre pourra décider si elle souhaite leur attribuer un statut de protection ou non en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel. »

Notons que le MCC doit publier un plan d’action répondant au Vérificateur général en octobre.

 

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