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États-Unis: Le droit à l’avortement, un acquis?

Frontière

Chaque année, quelque 10 000 avortements sont enregistrés en Louisiane. Actuellement, quatre médecins, répartis dans trois cliniques, assurent un accès au choix pour les quelque 2,3 millions de femmes (US Census, 2018) vivant dans cet État du sud des États-Unis. La semaine dernière, la protection de ce droit, trop souvent tenu pour acquis, ne tenait qu’à un vote à la Cour suprême. 

En 2014, le gouvernement de la Louisiane a adopté le Unsafe Abortion Protection Act afin d’obliger les cliniques d’avortement à obtenir un privilège d’admission dans un hôpital situé à moins de 30 milles (48 km) de la clinique. Ainsi, une clinique qui se trouve au-delà de 30 milles d’un hôpital ou qui est dans l’incapacité de signer une entente stipulant qu’en situation d’urgence une patiente de la clinique sera admise à l’hôpital se verra dans l’obligation de fermer ses portes. Dès son adoption, la loi a été contestée et son application a été bloquée. En 2017, un juge de la Cour de district fédéral à Bâton Rouge a jugé non constitutionnelle la loi en raison du fardeau indu qu’elle impose aux femmes. Son jugement se basait sur la décision de 2016 de la Cour suprême dans Whole Woman’s Health v. Hellerstedt, qui faisait suite à une loi similaire adoptée au Texas en 2013. Or, le renversement de cette décision et l’autorisation de son application par une cour d’appel ont mené le cas à la Cour suprême.

Dans une décision à cinq contre quatre, jeudi dernier à 21h30, la Cour suprême a bloqué l’entrée en vigueur de la loi. Un seul vote, celui du juge Roberts, a encore une fois fait pencher la balance et permis la protection du droit à l’avortement en Louisiane. Et le terme «protection» n’est pas trop fort : actuellement, un seul médecin a pu obtenir la certification requise si la loi venait à entrer en vigueur. Advenant l’application de la loi, il serait le seul à pouvoir continuer d’offrir aux femmes un service leur permettant de se prévaloir de leur droit de contrôle sur leur corps. Un seul médecin pour 2,3 millions de femmes.

C’est dire que le droit à l’avortement est de plus en plus ténu et intimement lié au positionnement géographique de la femme. Avant Roe v. Wade, l’emblématique décision de 1973 légalisant l’avortement sur l’ensemble du territoire, le lieu de résidence d’une femme déterminait son accès aux soins de santé reproductive. La décision de 1973 avait pour but d’universaliser ce droit. Or, force est de constater que les lois restrictives se multiplient et que l’application du droit est de nouveau modulée selon le positionnement sur le territoire – et plus encore selon les moyens socioéconomiques, l’origine ethnoculturelle et l’âge. Alors que certains États, comme celui de New York et la Virginie, protègent – avec un succès variable – le droit à l’avortement, d’autres adoptent le procédé inverse. Dix-huit États ont adopté des lois qui entraîneraient une restriction immédiate de l’avortement dès le renversement de Roe v. Wade. Dans 9 de ces 18 États, des lois interdisant l’avortement qui prédatent la décision de la Cour sont dormantes : le renversement de Roe v. Wade entraînerait une application immédiate de celles-ci. Et 21 États, dont la Louisiane et le Texas, sont considérés comme hostiles ou très hostiles au droit à l’avortement selon le Guttmacher Institute, un groupe de recherche sur les droits reproductifs.

Un vote et tout pourrait basculer. Il ne s’agit plus d’être alarmiste, mais plutôt réaliste. Autant à l’échelle des États qu’à celle de Washington, dans l’arène politique comme juridique, le droit à l’avortement s’érode et s’individualise. Certes, Roe v. Wade n’est pas, pour le moment, renversé. Mais peut-on toujours parler d’un droit à l’avortement si toutes les femmes ne peuvent s’en prévaloir?

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