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Algérie: avec le scrutin l’armée veut rétablir un pouvoir civil de «façade», selon des experts

Algérie
Les autorités algériennes encerclent des manifestants à Tizi-Ouzou. Photo: RYAD KRAMDI/AFP
Rédaction - Agence France-Presse

Pilier du régime, historiquement habituée aux coulisses, l’armée algérienne est contrainte d’exercer le pouvoir au grand jour. En imposant une présidentielle le 12 décembre, pourtant massivement rejetée, l’état-major veut reconstruire une «façade civile», derrière laquelle il retournera tirer les ficelles, selon les analystes.

Avec la chute d’Abdelaziz Bouteflika, contraint en avril à la démission après 20 ans au pouvoir par un mouvement («Hirak») populaire inédit de contestation, «le haut commandement militaire s’est retrouvé contre son gré sur le devant de la scène, exerçant le pouvoir réel», rappelle Moussaab Hammoudi, chercheur doctorant à l’École des Hautes études en Sciences sociales (EHESS) de Paris.

«C’est une situation très inconfortable pour lui, car il aime être caché» au sein d’un système caractérisé par l’opacité, souligne le chercheur qui travaille sur l’autoritarisme en Algérie.

Ce «haut commandement militaire» aux contours mal définis s’incarne pour les Algériens sous les traits du général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée depuis 15 ans, qui donne publiquement le «la» à un président par intérim effacé -Abdelakder Bensalah- et à un gouvernement chargé de gérer les affaires courantes.

«Lui qui n’est officiellement que vice-ministre (de la Défense) s’affiche comme le véritable maître du pays. C’est une situation totalement inédite (…)», même si «l’armée a toujours été le coeur du pouvoir», commente Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po et auteur de l’essai Algérie, la nouvelle indépendance.

L’armée s’est retrouvée en première ligne face à une contestation qu’elle a cru, à tort, pouvoir éteindre en sommant M. Bouteflika de démissionner, puis en incarcérant des symboles honnis de son régime.

Dans les manifestations, le slogan «Armée et Peuple sont frères» a été remplacé par «les généraux à la poubelle». Voire «Gaïd Salah est un traître».

Depuis l’indépendance en 1962, l’armée est un «État dans l’État» et «la politique a toujours été une affaire de militaires», souligne Kamal Cheklat, chercheur sur le Maghreb au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (Cresppa).

«Le “Hirak” veut remettre en cause tout ça» avec les slogans «vous partez tous» ou «Un État civil, pas un État caserne», c’est «une vraie rupture (…)».

Satisfaire les revendications de la contestation «n’est pas à l’ordre du jour des “décideurs” de l’armée, preuve en est ce passage en force par des présidentielles contestées par la majorité des Algériens», dit-il. «L’armée veut juste une façade civile à son pouvoir, léguer les contraintes de la crise politique, économique et sociale au futur président, le temps d’user le “Hirak”.»

«L’état-major veut un changement dans le système», alors que le «Hirak» veut un «changement du système», résume M. Cheklat.

Pour Jean-Pierre Filiu, «si la crise algérienne prouve quelque chose, c’est l’absence flagrante de sens politique des “décideurs” militaires» qui «espèrent sincèrement restaurer le statu quo et étouffer le “Hirak” en imposant le rétablissement d’une présidence civile de façade».

En refusant toute concession au «Hirak», l’armée refuse de «voir un processus de transition politique échapper à son contrôle», avec le risque d’une «remise à plat d’un système en place depuis l’indépendance», estime Flavien Bourrat, chercheur Maghreb — Moyen-Orient à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem, Paris).

Marquée par «la transition démocratique ratée du début des années 1990», quand l’armée a contraint le président Chadli Bendjedid à la démission et interrompu les législatives que s’apprêtaient à remporter les islamistes, «la hiérarchie militaire ne souhaite pas se réinvestir dans la gestion politique» directe ou dans la répression, dit-il.

La répression des émeutes de 1988 et son rôle durant la Guerre civile (1992-2002) ont sérieusement écorné l’image de l’institution.

«Les militaires ont tout à perdre à se réinvestir directement dans la gestion du politique», poursuit-il, «d’autant que la situation économique est extrêmement difficile et préoccupante et peu de gens ont envie de se retrouver avec de tels dossiers sous les bras. Et certainement pas les militaires».

Beaucoup de questions restent néanmoins sans réponse.

«Est-ce que tout le monde est unanime derrière le chef d’état-major? », s’interroge Flavien Bourrat. «Est-ce qu’il y a des débats internes au plus haut niveau de la hiérarchie militaire? J’aurais tendance à penser que oui, mais il y a une volonté commune de rien laisser transparaître» car «l’armée veut montrer qu’elle fait bloc».

Moussaab Hammoudi décèle «des fractures internes» et des «tensions très palpables» qui expliquent l’urgence pour l’armée d’«aller aux élections».

Quant au président élu, il «n’aura aucun pouvoir sur les grands dossiers. Il recevra des injonctions (de l’état-major), parfois implicites, comme cela a toujours été le cas».

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