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L’Inde des Indiennes

Photo: Archives Métro

Comme le dit Andrée-Marie Dussault,«les Indiennes, c’est un continent». Le quotidien des femmes de ce pays millénaire  est notamment façonné par les différentes classes sociales, castes et religions dans lesquelles elles évoluent. Avec Voyage dans l’Inde des Indiennes, l’auteure et journaliste nous propose un tour d’horizon en mosaïque des femmes et des thèmes qui l’ont marquée au cours des sept années qu’elle a passées à les côtoyer.

On parle beaucoup ces derniers temps des problèmes que connaissent les femmes en Inde, notamment la question des viols. Est-ce que c’était rendu nécessaire, selon vous, de faire connaître la situation des Indiennes?
C’est un peu un hasard que le livre sorte à ce moment-ci. Quand j’en ai eu l’idée, on ne parlait pas du tout de ces histoires de viol. Vous dites nécessaire, eh bien oui. Je suis féministe de longue date et pour moi c’était important, comme journaliste, de parler de la situation des femmes – que ce soit des Indiennes ou d’autres femmes. Les Indiennes en particulier parce que j’y étais et aussi parce qu’elles représentent une fraction importante de la population globale.

Vous dites au début du livre que le viol est une problématique qui existe depuis longtemps. C’est celui de décembre qui aurait vraiment fait éclater la situation. Comment expliquez-vous cela?
C’est peut-être une question de «timing». Tous les jours, les journaux en Inde rapportent des histoires de viol. Mais cette histoire a beaucoup fait parler, peut-être parce qu’elle était particulièrement violente, peut-être aussi parce qu’elle touchait une femme de la classe moyenne. Quand, par exemple, des femmes dalit [«intouchables»], ou des femmes des classes ou des castes plus modestes sont touchées, peut-être qu’on s’en fout un peu plus, entre guillemets. Tandis que là, c’était une femme éduquée, de classe moyenne inférieure. Je pense aussi qu’il y a un ras-le-bol général de la part des femmes et des hommes. Et comme il y a tellement d’attention sur l’Inde en ce moment, peut-être que les Indiens ont profité de cette attention médiatique pour exprimer leur colère. C’est peut-être la goutte qui a fait déborder le vase.

La semaine dernière, une Américaine s’est fait violer dans la région de l’Himachal Pradesh. On dit que plusieurs femmes touristes décident de ne plus aller en Inde à cause des histoires de viol. Comment vous voyez cela?
Cette Américaine, je pense qu’elle faisait du pouce. Déjà, il ne faut pas prendre de risque en faisant du pouce en Inde. Habillée avec une tunique, un foulard de la tête au pied, je me sentais vraiment à mon aise. Puis évidemment, je faisais très attention en ne sortant pas le soir, en ne m’adressant pas à n’importe qui, en n’engageant pas la conversation avec quiconque venait s’adresser à moi. Je ne pense pas que ce soit forcément un pays plus dangereux qu’un autre. Les Indiens en général sont super gentils.

Les fœticides sont un autre enjeu dont on parle beaucoup ces derniers temps. Il s’agit d’un problème complexe, qui est ancré dans les traditions…
C’est sûr que c’est un problème majeur. Déjà, le gouvernement en a pris conscience et il en parle, ce qui n’a pas toujours été le cas. Dans les cliniques indiennes, on n’est pas censés dire le sexe du fœtus. Mais évidemment, ce n’est pas forcément respecté. Parce que c’est vraiment ancré dans les mentalités qu’un fils, c’est mieux. Même les femmes veulent avoir un fils parce que, si elles ont une fille, celle-ci risque de subir de la discrimination de la part de la belle-famille, du village, de la société en général. C’est un gros problème.

Il y avait une jeune fille qui travaillait chez mes propriétaires. Elle venait d’une famille de six filles et elle était la dernière. Elle était le fardeau de la famille et il fallait la marier. Vraiment, la pauvre, elle déprimait parce qu’elle sentait que tout le monde lui reprochait d’être la sixième fille.

Alors qu’elle n’était pas responsable de ça!
Non, non. Mais oui et non, parce qu’en Inde, la notion de karma est très présente. On peut croire que c’est parce qu’elle a fait quelque chose de mal dans une vie précédente qu’elle est maintenant être la sixième fille d’une famille.

Le fardeau d’avoir des filles est aussi lié à la dot. Est-ce qu’on voit des changements de ce côté?
Il y a une loi qui interdit la dot. Mais l’Inde est un pays qui est plusieurs fois millénaire, alors les changements prennent du temps à se mettre en place. La dot est toujours d’actualité, en fait. Elle est au cœur même de l’économie sociale indienne. Pour les parents qui ont des filles, ça représente quelque chose d’énorme. Ces dernières années, la dot a pris la forme de produits de consommation comme des télévisions, des voitures, selon le pouvoir d’achat des familles. Ça devient des quantités énormes d’argent et de biens matériels. Et souvent, les belles-familles exigent plus. Même une fois que le fils est marié. Elles exigent de la belle-fille encore plus de matériel ou de biens sous peine de la maltraiter. De plus, avec la dot, ça veut dire qu’on cède notre fille à la belle-famille, donc elle n’est plus là pour s’occuper de nous, pour faire les travaux ménagers, etc. C’est pour ça que c’est préférable d’avoir un garçon.

Est-ce courant que les belles-familles demandent plus à la famille de la mariée?
Je n’ai pas de statistiques, mais je pense que c’est assez courant. Dans les journaux, on lit souvent – presque tous les jours – des histoires de meurtres à cause de la dot. Des belles-familles tuent la fille parce qu’elles n’ont pas eu assez de dot ou parce qu’elles voulaient davantage. Et ça, j’imagine que c’est la pointe de l’iceberg. On en parle parce qu’elles sont mortes, mais combien de femmes sont harcelées, sont menacées et sont maltraitées parce que la belle-famille souhaite une dot plus avantageuse?

***
À propos de…
Quand vous pensez à la situation des femmes indiennes, qu’est-ce qui vous vient en premier à l’esprit?

  • À propos de leur force? «Ce qui m’a surtout frappée, chez celles qui viennent des milieux plus modestes, c’est la force qu’elles ont et à quel point elles déploient de l’énergie et de l’ingéniosité pour survivre, tout simplement. Pour joindre les deux bouts, pour éduquer leurs enfants, pour vivre, dans plusieurs cas, avec un mari qui ne travaille pas, qui est absent ou qui est alcoolique. Ce qui est marquant, c’est vraiment la force qu’ont ces femmes. Vous me direz qu’elles n’ont pas le choix, mais c’est assez impressionnant de voir comment elles réussissent à survivre dans des conditions parfois vraiment difficiles.»
  • De leur faiblesse? «On trouve de tout en Inde. Tous les extrêmes sont présents. Autant les gens sont gentils, généreux, serviables, amicaux, autant il peut y avoir des côtés plus mesquins pour descendre les autres afin de s’élever. Mais toujours dans une perspective de stratégie de survie, je dirais. L’Inde est un pays où il y a beaucoup de compétition, parce qu’évidemment, il y a beaucoup de monde.»

Voyage dans l'inde des indiennes
Voyage dans l’Inde des Indiennes, d’Andrée-Marie Dussault
Les Éditions du Remue-Ménage
En librairie

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