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Les deux Corées: 63 ans de guerre fratricide

La Corée du Nord a vraisemblablement procédé à son quatrième essai nucléaire depuis 2006 cette semaine. Bien que beaucoup de scepticisme accueille l’affirmation de Pyongyang voulant que le pays ait effectué le test d’une bombe à hydrogène avec un «succès parfait», comme cela a été annoncé par le diffuseur public nord-coréen mardi soir, il s’agit néanmoins d’une nouvelle escalade dans une guerre larvée qui divise depuis 63 ans les deux Corées.

En riposte à cette nouvelle provocation, la Corée du Sud a annoncé hier qu’elle relancera la diffusion de message destinée à briser la propagande de son voisin du nord.

Séoul avait accepté d’interrompre la diffusion de ces messages à la fin du mois d’août, après s’être entendue avec Pyongyang sur une série de mesures qui devaient alléger les tensions sur la péninsule coréenne.

Il faut remonter jusqu’en 1910 pour comprendre la séparation qui coupe encore en deux la péninsule coréenne, 106 ans plus tard. Le Japon annexe la Corée à cette époque, imposant un régime d’une «cruauté extrême» à la tête du pays, comme le souligne Le Monde diplomatique dans son édition de janvier 2016.

Dans les faits, plus de deux millions de Coréens seront réduits en esclavage par l’occupant nippon au cours de la Deuxième guerre mondiale.

La défaite japonaise survient en 1945, entrainant la libération de la péninsule. Au nord, le fondateur de la dynastie qui dirige encore la Corée du Nord à ce jour, Kim Il-sung, prend la tête du pays en 1948, aidé par l’Union soviétique. Au sud, les États-Unis installent un pouvoir autoritaire favorable aux vainqueurs de la Deuxième guerre mondiale. Entre les deux Corées, une frontière s’établit le long du 38e parallèle. Plus d’un siècle plus tard, cette démarcation sépare encore les deux sœurs ennemies.

Le Nord, qui était à cette époque beaucoup plus industrialisée que le Sud, tente d’envahir son voisin en 1950. L’assaut sera repoussé in extemis grâce à l’appui de l’armée américaine, qui larguera sur la Corée du Nord plus de 635 000 tonnes de bombes sur le pays, dont 32 000 tonnes de napal – soit plus qu’au cours de toute la campagne militaire du Pacifique entreprise pour défaire le Japon pendant la Deuxième guerre mondiale.

La Chine viendra porter secours aux troupes du nord, poussant le général américain Douglas MacArthur à militer pour que la bombe atomique soit utilisée pour mettre fin au conflit. Au terme de trois années de guerre, le sud et le nord reviennent à leur frontière d’origine, soit le 38e parallèle le long duquel se déploie la zone démilitarisée. Au moins un million de morts plus tard, rien n’a changé, chaque Corée retournant là où elle était à l’origine du conflit.

Un armistice est signé en 1953, sans qu’un accord de paix soit conclu. Quelque 63 ans plus tard, les deux Corées vivent encore dans un cessez-le-feu permanent, qui fut ponctué par quelques accalmies – et bien  des orages – au fil des décennies.

Métro a discuté avec Benoit Hardy-Chartrand, spécialiste de la Corée du Nord, chercheur au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, chargé de cours à l’Université de Montréal et chercheur associé à l’observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand, à propos de l’essai nucléaire mené par Pyongyang cette semaine.

Pourquoi Pyongyang a choisi ce moment pour lancer ce probable quatrième essai nucléaire en 10 ans ? La Corée du Nord avait tendu la main à Washington le 9 octobre dernier sur sa télévision d’État, se disant ouvert à participer à des négociations de paix si les États-Unis reconnaissaient son droit à exister et à posséder l’arme nucléaire. Est-ce que le silence de Washington concernant cette «ouverture» a poussé Pyongyang à agir de la sorte?

Je ne crois pas qu’on doive voir un lien direct entre les deux. Il y a longtemps que la Corée du Nord dit vouloir un traité de paix avec les États-Unis, et ceux-ci ont toujours ignoré ces ouvertures. Ainsi, il faut regarder ailleurs pour tenter de comprendre le moment choisi. Ça peut être dû simplement à des questions techniques, c’est-à-dire que l’arme nucléaire (qu’elle soit à l’hydrogène ou non) était prête à être testée. Cela peut aussi être dû à la volonté de Kim de renforcer sa position au sein du régime et de la population en vue du Congrès du PArti des travailleurs en mai, qui est un événement très rare en Corée du Nord.

Quelle posture la communauté internationale devrait-elle adopter face à la Corée du Nord ? D’un côté, beaucoup d’observateurs misent sur un écroulement prochain du régime : or, le pouvoir nord-coréen s’est maintenu, en dépit de la chute du bloc soviétique et de la terrible famine traversée par le pays dans les années 1990. S’agit-il de maintenir la Corée du Nord dans son isolement idéologique et économique, ou plutôt de lui tendre la main pour l’inciter à s’ouvrir?

On parle depuis les années 1980 d’un effondrement du régime, et ce n’est jamais arrivé. En même temps, toutes les approches jusqu’ici ont échoué à changer la politique de Pyongyang. Autant la ligne dure que la main tendue [appelé la «sunshine policy» par son instigateur, l’ancien président sud-coréen Kim Dae-jung, au pouvoir de 1997 à 2003] n’ont pas produit de résultats durables. L’isolement n’a rien donné, et donc toute approche doit aussi bien doser la carotte que le bâton, c’est-à-dire d’offrir de nombreux incitatifs en cas d’ouverture du régime, tout en s’assurant que ses transgressions ne soient pas sans conséquence.

Une chose est certaine : on doit continuer à tenter de briser l’isolement de sa population. Plusieurs programmes et organisations ont pour but de mieux informer la population, par des émissions de radio provenant de l’extérieur, par exemple. Évidemment, cela se fait contre la volonté du régime de Pyongyang, mais cela rejoint beaucoup de Nord-Coréens. À la longue, on peut espérer qu’une réduction de l’isolement de la population puisse avoir un impact sur l’appui au régime et même sur les élites elles-mêmes.

La présidente sud-coréenne, Park Geun-Hye, est-elle une faucon ou une partisane de la réconciliation vis-à-vis de la Corée du Nord, selon vous? Les attitudes face au dérangeant voisin communiste semblent avoir changé au gré des dirigeants du côté de Séoul : où se situe la présidente actuelle?

Elle n’est ni faucon, ni colombe. Elle l’a elle-même dit lors de son élection, son approche de trustpolitik se veut en quelque sorte une troisième voie, entre l’approche rigide de son prédécesseur et la main tendue de la Sunshine Policy. Elle a donc tenté de rétablir la confiance sur la péninsule, mais de nombreuses crises inter-coréennes ont fait dérailler son projet. Elle continue de prêcher la trustpolitik, mais dans les faits, il y a peu de chances de réussir, surtout qu’elle a déjà passé la mi-mandat.

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