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Pas en mon nom, svp

Judith Lussier

Chaque fois qu’il est question d’imposer une interprétation étroite de la laïcité, on prétend qu’interdire à certains employés de l’État de porter des signes religieux favoriserait l’égalité hommes femmes et le respect des minorités sexuelles. En tant que femme, féministe et lesbienne, permettez-moi de me sentir interpellée.

Le calcul semble simple : les religions oppriment les femmes et les minorités sexuelles, il faudrait donc en restreindre les manifestations. S’il n’y a rien de féministe à imposer le voile aux femmes iraniennes, je ne vois pas ce qu’il y a de plus féministe à l’interdire. Entre féministes, on n’est pas toujours d’accord, mais le principe d’autodétermination fait généralement consensus. Les femmes devraient être libres de faire ce qu’elles veulent avec leur corps, et ce choix devrait pouvoir se faire dans un contexte où elles ont plusieurs options.

Or, comment peut-on justifier qu’au nom de l’égalité­ entre les hommes et les femmes, des femmes soient discriminées à l’embauche et d’autres voient leurs perspectives­ professionnelles être limitées. La réponse «elles n’ont qu’à enlever leur voile» n’est pas recevable. Les femmes voilées que je connais ne correspondent pas au stéréotype de la femme soumise que l’on fait généralement circuler, mais admettons qu’il y ait, parmi les femmes qui désirent occuper un poste d’enseignante, des femmes voilées ultra soumises à la volonté de leur mari, comme le veut le cliché. Le résultat est qu’étant ainsi soumises, elles garderont leur voile et seront privées de perspectives professionnelles. Comment cela peut-il favoriser l’égalité de ces femmes? En ce qui a trait aux minorités sexuelles, je comprends que ceux qui ont connu l’oppression de l’Église catholique puissent se méfier des religions.

Le jour où l’opinion publique se retournera contre nous, se réjouira-t-on avec autant de désinvolture qu’une clause nonobstant soit utilisée pour bafouer nos droits?

Mais les temps ont changé. Les droits des minorités sexuelles sont maintenant protégés par les chartes canadienne et québécoise. Cette reconnaissance est précisément attribuable au fait qu’on n’ait pas laissé les décisions nous concernant entre les mains de la majorité.

Ce qui est le plus inquiétant pour les minorités sexuelles, c’est qu’à bafouer les droits d’autres minorités, on effrite le principe même qui nous protège. Le jour où des histoires accablantes auront été montées en épingle par des médias de mauvaise foi à notre égard et que l’opinion publique se retournera contre nous, se réjouira-t-on avec autant de désinvolture qu’une clause nonobstant soit utilisée pour bafouer nos droits?

Une bonne façon de déceler l’instrumentalisation d’une cause est de se pencher sur ce que ceux qui défendent cette cause à longueur d’année en pensent. Or, aucune organisation de défense des minorités sexuelles reconnue n’a demandé de restriction du port de symboles religieux. La Fédération des femmes du Québec s’est prononcée contre le projet de loi 21. Et si le Conseil du statut de la femme n’a pas encore annoncé ses couleurs, les guerres intestines qui se sont livrées autour de cet enjeu au cours des années passées montrent qu’on est loin d’un consensus en faveur de l’interdiction des signes religieux. Chose certaine, en tant que femme, féministe et lesbienne, je refuse qu’on restreigne les droits des
minorités en mon nom.

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