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Tout nouveau, tout faux

Sylvain Ménard

Le téléphone sonne.

Dring!

– Monsieur Ménard, je vous appelle pour vous dire que le contrat pour votre forfait de téléphone portable est venu à échéance. J’aurais une belle offre à vous faire.

– Ah oui? (sous-entendu : elle est où la pogne?)

– Je vous offre de réduire vos mensualités de 10 $ et, en prime, je vous donne un iPhone beaucoup plus performant que le vôtre, qui a déjà deux ans.

– Merci, je vais prendre la réduction, mais laissez faire le nouveau iPhone puisque le mien fait amplement le travail.

– Ça ne sera pas possible. Si vous voulez avoir la réduction, faut prendre le téléphone qui vient avec.

– Mais puisque je vous dis que le mien accomplit merveilleusement bien tout ce que je lui demande.

– Je ne comprends pas. Je vous offre un beau portable flambant neuf et vous le refusez?

– Ben oui. Le mien a beau avoir deux ans (ce qui, en technologie, équivaut à la durée de l’ère glaciaire), je vais le garder. Me suis attaché à lui et lui à moi, que voulez-vous…

– …

J’en ai marre, marre de consommer. De remplacer inutilement, de jeter ce qui est encore bon. Tanné qu’on me demande de me re-remettre­ à jour alors que je n’ai pris aucun retard.

Y’en a marre, aussi, de me faire dire à tout bout de champ : «Au prix que ça va te coûter pour le faire réparer, t’es aussi bien d’en acheter un neuf…»

Ben non, justement, ça ne devrait pas toujours aller de soi d’en acheter un neuf. Pourquoi toujours du neuf? Pour faire travailler des ouvriers-esclaves­ dans des usines d’ailleurs quand on pourrait tout aussi bien encourager les réparateurs d’ici? Pour faire grossir les sites d’enfouissement avec des appareils qui mériteraient d’avoir une seconde et, pourquoi pas, une troisième vie?

Je suis tanné de consommer et, surtout, tanné qu’on m’oblige à consommer. Mes tiroirs sont remplis de trucs qui mériteraient de fonctionner à nouveau. Dans mes placards, des ordis s’empilent, terrassés par un trop-plein de mises à jour. Et tiens, pendant qu’on parle de mises à jour, pourquoi donc mes bebelles technos ralentissent systématiquement­ chaque fois qu’on m’impose de les «rafraîchir»? Pourquoi ose-t-on à peine parler d’obsolescence programmée? Avons-nous peur que le Dieu-sans-fil vienne nous mordre les orteils au petit matin?
À quand remonte la dernière fois où vous avez fait réparer un électroménager? Un téléviseur? Un ordi? Les boutiques du cordonnier, de la couturière et du réparateur de tondeuses sont-elles toujours ouvertes dans votre quartier? Bien possible que non. Au fil du temps, on s’est dûment occupé de les éliminer du portrait, les unes après les autres.

Ces derniers jours, on a appris qu’Ikea allait lancer – en Europe dans un premier temps – un service de recyclage et de réparation de sa marchandise. Voilà qui est très bien. S’il existe une entreprise dans le monde qui nous a encouragés à surconsommer, c’est bien Ikea. Quand le virage vert devient rentable, c’est fou combien les grosses entreprises deviennent responsables. Appelons ça un beau paradoxe…

Au moment où on s’inquiète pour l’avenir de la planète, alors qu’on se plaint de notre industrie du recyclage qui ne remplit pas ses promesses, on continue en toute conscience à faire gonfler notre capital mondial de rebuts.

Depuis trop longtemps, on refuse l’usure, on met de côté l’imparfait. On n’en a que pour le flambant neuf, au détriment du durable. Et s’il fallait qu’on se soit trompés? Ça ne serait pas la première fois.

•••

Vu et entendu : le spectacle monté par André Papanicolaou qui reprenait l’album Revolver des Beatles en compagnie de ses amis Éric Goulet, Marc Déry, Guillaume Chartrain et Mélissa Lavergne, samedi soir dernier, au Verre Bouteille, rue Mont-Royal. Une salle bondée, un staff avec des sourires larges comme le bar et un band totalement investi dans un projet tout aussi fou qu’éphémère, pendant un trop bref moment : il n’en fallait pas plus pour que le bonheur nous tombe dessus. En guise de souvenir très personnel, je conserverai longtemps dans ma mémoire la larme coulant lentement sur la joue de la fille à ma droite pendant Here, There and Everywhere. Touchant…

L’ami André, le plus gros travaillant de la scène musicale québécoise, craignant de s’ennuyer pendant ses cinq minutes d’oisiveté mensuelle, a entrepris il y a quelque temps de refaire des albums mythiques une fois par mois au Verre Bouteille. Le prochain rendez-vous est fixé au mardi 14 mai, alors qu’il nous offrira sa lecture – presque à la note – de l’album Yankee Hotel Foxtrot de Wilco. Ça serait comme un peu nono de s’en passer.

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