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Les sables mouvants de la disposition dérogatoire

La disposition dérogatoire sera invoquée par le gouvernement Legault afin de soustraire sa prochaine loi sur la laïcité un éventuel contrôle judiciaire. Son pari? Appliquer le bâillon sur les discussions parlementaires en juin, et partir ensuite pour les vacances. Parce qu’un été idéalement empreint de daiquiri aux bananes et autres piscines fera aisément oublier le climat de controverse dans lequel le Québec se trouve présentement. Et comme il sera impossible de contester devant les tribunaux ladite loi, fin des émissions. Et on passera ensuite aux choses fondamentales. La maternelle 4 ans et le troisième lien, par exemple.

Mais peut-on réellement, dans un État de droit qui se respecte, faire l’économie d’un débat sur l’usage d’une disposition aux effets potentiellement explosifs sur les droits civils?

Certains ont invoqué, à l’appui du gouvernement Legault, le fait que la disposition est prévue à même la charte canadienne. Qu’elle aurait été employée à des tonnes de reprises depuis 1982, année de son entrée en vigueur. Que cette fréquence assure sa légitimité, en quelque sorte.

Bon. D’abord, s’il est vrai que la disposition en question fait effectivement partie de la mécanique constitutionnelle, il a bien failli en être autrement. En fait, le premier ministre d’alors, Pierre Trudeau, était farouchement opposé à son inclusion, au motif qu’il serait absurde d’accorder des droits aux citoyens (notamment aux minorités), mais de pouvoir les leur soutirer selon les humeurs de la majorité électorale (précisément ce qui se produit présentement). Or, il a dû reculer afin de satisfaire cette condition sine qua non présentée par les gouvernements de l’Ouest, soucieux de pouvoir se soustraire aux diktats d’éventuelles décisions judiciaires fondées sur une charte des droits. Classique démonisation du pouvoir judiciaire, rebaptisé «gouvernement des juges». C’est ainsi que, malgré sa présence à même la Constitution, il a toujours été convenu, du moins implicitement, que son recours devait se faire de manière exceptionnelle. La preuve? Son utilisation partout au pays se compte, après plus de 37 ans, sur les doigts de la main.

Laissez tomber les politiciens se drapant sous de faux vernis scientifiques afin d’arriver à leurs fins partisanes, en vous plaidant, entre autres mensonges, que le recours à la disposition s’est effectué à des tonnes de reprises. C’est d’ailleurs le cas d’un certain Guillaume Rousseau (candidat péquiste battu aux élections d’octobre, depuis recyclé en conseiller constitutionnel auprès du… gouvernement caquiste), dont l’étude à cet effet a fait grand bruit auprès des médias, du moins jusqu’à ce que l’excellent Maxime St-Hilaire démontre la vacuité et la duplicité de celle-ci. Question, au fait : depuis quand, de toute manière, usage équivaut-il à légitimité ou à pertinence?

Où je veux en venir? À dire que la culture traditionnelle de non-usage de la disposition, sauf motif d’exception, se voulait une excellente chose. Parce que nous sommes toujours la minorité d’autrui. Parce qu’il s’agit d’une bombe potentiellement liberticide, utilisée à des fins purement populistes et démagogiques. Parce que la disposition pourrait, en un claquement de doigts, s’appliquer à des trucs qui, au contraire du présent débat, nous touchent perso : avortement; liberté d’expression; droits des gais et des lesbiennes­; garanties en matière pénale; droit à la sécurité; droits des handicapés. Différents, dites-vous? Ah. Et si les humeurs de la population changeaient sur ces sujets?

Frédéric Bérard est avocat-conseil auprès de Mitchell Gattuso, lequel a récemment déposé une injonction contre le gouvernement québécois.

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