Soutenez

L’effet Matilda

Judith Lussier

La première image d’un trou noir a fait le tour du monde la semaine dernière et, rapidement, la Dre Katie Bouman est devenue le visage de cette prouesse technique. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle devienne aussi la cible de cyberharceleurs masculinistes souhaitant à tout prix minimiser sa contribution et en attribuer les mérites à l’un de ses collègues.

Cet acharnement à ne pas vouloir reconnaître l’apport scientifique des femmes n’a rien d’étonnant. Des découvertes faites par des femmes sont injustement attribuées à des hommes depuis des siècles, sans grands remous. Ce phénomène a même un nom : l’effet Matilda, du nom d’une militante féministe américaine qui a remarqué cette tendance, depuis étayée par plusieurs exemples.

En 1958, la chercheuse Marthe Gautier découvre qu’un chromosome supplémentaire est à l’origine de la trisomie 21. Sa découverte sera pourtant attribuée à un stagiaire, qui obtiendra pour cela un prix. La chercheuse afro-américaine Alice Ball a découvert un traitement efficace contre la lèpre dont le directeur de son université s’est attribué la paternité. L’algorithme qu’on considère comme étant à l’origine du premier programme informatique a été écrit par Ada Lovelace, qui a longtemps été écartée de l’histoire de l’informatique. Les photographies de la structure de l’ADN ont été présentées par la chercheuse Rosalind Franklin en 1951, mais ce sont deux hommes qui ont obtenu un prix Nobel en 1962 pour cette découverte qu’ils ont faite… lors de la présentation de leur consœur.

Récemment, deux chercheuses ont épluché 900 articles parus de 1970 à 1990 dans une revue scientifique dédiée à la génétique. Elles ont découvert que, dans les années 1970, une époque où la programmation était considérée comme un métier féminin peu prestigieux, les femmes constituaient seulement 7% des autrices de ces études, alors qu’elles formaient 59% des programmeuses citées… dans les notes de bas de page. Maintenant que la programmation est un métier reconnu à sa juste valeur, il ne fait aucun doute que de telles contributions auraient dû se mériter des crédits.

L’attribution à des hommes de découvertes faites par des femmes est un vieux phénomène qui semble perdurer. En 2015, La Presse nommait «personnalité de la semaine» un chercheur de l’Université Concordia pour une importante découverte sur l’Alzheimer. Or, dans le texte, on apprenait que c’était son étudiante, Laura Hamilton, qui avait fait cette découverte après cinq ans de recherches. Pourquoi ne pas la nommer elle?

Chaque fois, on trouve des excuses. Vous serez certainement nombreux à m’expliquer pourquoi chacune des femmes citées dans ce texte n’est pas vraiment digne de la reconnaissance que je lui attribue. Chaque fois, on rechigne à reconnaître les biais qui nous empêchent d’apprécier à sa juste valeur le succès chez les femmes.

Une percée scientifique ne se fait généralement pas seule. La Dre Bouman a été la première à le reconnaître. Les médias, charmés par la photo de la scientifique émue devant l’accomplissement d’une telle quête, ont peut-être poussé la note. La rareté des modèles féminins dans la science a peut-être suscité un enthousiasme exagéré. Il n’en demeure pas moins déplorable que le rayonnement d’une femme suscite autant de frustration chez certains.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.