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Un problème de perception

Judith Lussier

On oublie souvent qu’une des conclusions du rapport Bouchard-Taylor était que nous faisions surtout face à une «crise de perception» plus qu’à un réel problème d’accommodements. Les médias­ étaient alors montrés du doigt pour avoir «cédé au sensationnalisme, pour avoir amplifié, déformé, sélectionné, pour avoir manqué à leurs responsabilités en semant la division, en accentuant­ les stéréotypes, en excitant l’émotivité, en creusant les clivages Eux-Nous, en incitant à la xénophobie».

Dix ans plus tard, force est de reconnaître que nous n’avons pas beaucoup évolué sur cet aspect du problème. En février dernier, TVA était sévèrement blâmée par le Conseil de presse pour avoir diffusé un reportage affirmant sans fondements que des musulmans voulaient empêcher des femmes de travailler sur un chantier de construction près d’une mosquée.

Il s’agit d’un cas extrême, mais les médias sont remplis de biais plus subtils, comme l’utilisation du mot «laïcité» comme synonyme du projet de loi 21. La phrase «La majorité des étudiants de Matane était en faveur de la laïcité de l’État» s’est par exemple glissée dans un reportage de Radio-Canada­ pour témoigner de l’appui de ces jeunes au projet de loi. Cette confusion amène à croire que le projet de loi 21 représente de manière exclusive la laïcité, et que les opposants à ce projet de loi sont contre la laïcité. Or, y a-t-il vraiment des gens qui s’opposent à la laïcité? Le débat porte plutôt sur la façon d’y parvenir. En témoigne un collectif de citoyens opposés au projet de loi 21 qui formulait, hier dans Le Devoir, 14 propositions pour favoriser la laïcité sans pénaliser indûment les minorités.

C’est complexe, et une photo de femmes voilées ne permet en aucun cas de mieux comprendre la situation au Brunei. Elle ne fait que renforcer­ l’idée que le voile constitue­ un problème.

Puis, il y a les images. Combien de fois avons-nous vu des femmes en tchador – un vêtement couvrant le corps et le visage, porté par une minorité de musulmanes­ – pour illustrer des reportages sur la laïcité? Pour annoncer le début du ramadan, une pratique religieuse vécue en grande partie dans l’intimité, le Journal de Montréal a choisi une image montrant une horde de musulmans portant le flambeau, une tradition surtout observée en Indonésie. Pour illustrer la décision du sultan de Brunei de ne pas appliquer la peine de mort contre les homosexuels à la suite des pressions internationales, Le Devoir a choisi une image montrant une assemblée de femmes voilées. Le rapport? «La population de Brunei est majoritairement musulmane», indique la vignette.

Le fait que Brunei soit une monarchie islamique explique en partie la pénalisation de l’homosexualité, mais plusieurs autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte. Une étude a récemment montré que les anciennes colonies britanniques – ce qu’est Brunei – étaient plus susceptibles d’avoir importé des dispositions anti-sodomie dans leurs codes pénaux. Bref, c’est complexe, et une photo de femmes voilées ne permet en aucun cas de mieux comprendre la situation au Brunei. Elle ne fait que renforcer l’idée que le voile constitue un problème.

On sait que les médias font face à une crise qui les conduit parfois à agir comme des influenceurs anxieux de récolter le plus de «likes» possible. Ces pratiques ont toutefois des répercussions sur de vraies personnes.

Nous devons faire mieux.

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