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Dans l’œil de Monsieur Labrecque

Sylvain Ménard

Chaque famille a son photographe plus ou moins officiel. Du côté de mon père, c’était matante Lise qui occupait cette fonction capitale. C’est à elle qu’on doit une grande part de ce qu’il reste de nous. De ce que nous étions et de ce qui s’effacerait un jour de nos mémoires si, une fois de temps en temps, nous ne retournions pas fouiller dans la boîte à photos du clan perdu.

Pour le Québec, Jean-Claude Labrecque aura été l’équivalent de matante Lise. Là, toujours là quand ça comptait. Et quand ça ne comptait pas, il s’organisait pour que ça finisse par compter. Caméraman exceptionnel, réalisateur efficace et sensible, Labrecque a été au-delà de tout ça, un conteur extraordinaire. Immense. Pendant 60 ans, dans ses documentaires comme dans ses fictions, à travers une variété de thèmes et de récits, Jean-Claude Labrecque s’en est tenu à une seule histoire: la nôtre.

Quand on regarde son documentaire sur la visite du général de Gaulle en 1967, derrière son illustre sujet, c’est le Québec de l’époque qu’on découvre. Un Québec qui apparaît comme un chapelet de petits villages. Un Québec de marguilliers endimanchés où les corps de clairons sonnent faux. Un coin du monde qui s’émerveille devant la visite venue de loin. Un Québec où les bâtons de majorettes et les slogans indépendantistes revolaient à la même cadence. C’était nous, c’était ça. Dans toute notre candeur et notre complexité.

Dans ses documentaires comme dans ses fictions, à travers une variété de thèmes et de récits, Jean-Claude Labrecque s’en est tenu à une seule histoire: la nôtre.

Son film sur La Nuit de la poésie de 1970 – un événement charnière s’il en est – illustre avec précision dans quelle voie on allait s’engager.

Culturellement et politiquement. Ça aussi, c’était nous. Articulés, effrontés et un peu fous sur les bords.

Et que dire de ses autres documentaires… Je retiens, entre autres, son histoire du RIN qui nous fait entendre les derniers témoignages d’André d’Allemagne et de Pierre Bourgault. Je revois son portrait du musicien André Mathieu, sorti bien avant qu’on remette son nom à l’avant-plan.

Son travail sur le film officiel des Jeux olympiques de Montréal de 1976 n’a été rien de moins qu’admirable. Allez sur le site de l’ONF et dégustez cette formidable collection d’images. Attardez-vous au relais 4 x 100 m de l’équipe américaine, tourné en un plan-séquence en 360 degrés absolument époustouflant. Il n’y avait que Labrecque pour faire ça. Et il l’a fait. Pour les besoins de l’histoire.

Revoyez À hauteur d’homme, l’implacable portrait de la campagne électorale de Bernard Landry en 2003. Un document sans cachette qui nous montre à quel point la réalité frappe de plein fouet le candidat Landry qui comprend bien trop tard que son ultime combat politique devra se dérouler dans le paraître plutôt que dans l’être. Et que la panique quotidienne de ses faiseurs d’image le démolit pièce par pièce. J’ignore qui d’autre que Labrecque aurait pu aller aussi loin dans l’intimité de l’ex-chef du PQ. Probablement personne. Sûrement personne.

Toute sa vie, Jean-Claude Labrecque a tourné des films pour ne pas qu’on oublie. Pour ne pas qu’on s’oublie. Aujourd’hui, je salue cet admirable monsieur qui a si bien pris soin de notre boîte à portraits.

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Vu : Rocketman, le bio-film sur la vie et la musique d’Elton John. J’ai adoré. Même si je ne suis pas nécessairement un admirateur de la bête, même si l’enflure du personnage m’a souvent tapé sur le système, même si tout le reste… On dira ce qu’on voudra : quand la «vue» est bonne, on s’incline.

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Parlant de «vue», 1991, de Ricardo Trogi, a été sacré Meilleur film au Gala Québec Cinéma. Et Trogi a reçu un prix pour son travail de réalisateur. Voilà, comme qui dirait, deux maudites bonnes affaires de faites!

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