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Force de loi

Judith Lussier

L’adoption de lois change le monde. Pas seulement parce que les lois contraignent les individus à les respecter, mais aussi parce qu’elles envoient un message, pour le meilleur et pour le pire, selon leur adéquation avec vos valeurs personnelles. Elles envoient le signal qu’un choix de société s’est arrêté ici, autour d’un consensus plus ou moins établi.

Au chapitre du meilleur: les lois permettant aux conjoints de même sexe de se marier et d’être reconnus comme parents ont fait évoluer la société. À partir du moment où les membres de la diversité sexuelle ont eu les mêmes droits que tout le monde – même s’il reste du chemin à parcourir –, ils ont pu être reconnus comme des citoyens à part entière. En tant que lesbienne, ces lois me permettent de marcher la tête haute, en toute dignité, que j’aie ou non l’intention de me marier. Ces lois m’indiquent que même si des personnes sont mal à l’aise avec mon orientation sexuelle, les gouvernements et, dans une certaine mesure, la société m’appuient.

Au chapitre du pire, selon mes valeurs, il y a maintenant la loi 21. Je ne serai jamais d’accord pour qu’on discrimine à l’emploi, sous quelque prétexte que ce soit, des personnes déjà marginalisées, et dans le cas qui nous occupe, particulièrement des femmes.

L’adoption de cette loi m’inquiète d’autant plus que les lois donnent justement un vernis de respectabilité aux choses. Ici, elle semble autoriser certaines personnes à bomber le torse à l’égard d’enjeux qui n’ont jamais fait partie du projet.

Des femmes musulmanes portant le voile disent observer une hausse des comportements haineux à leur égard. La personnalité politique Eve Torres a reçu le message suivant de la part d’une Karine: «Nous sommes contre que tu sois dans NOTRE PAYS. PLUS DE 80% du peuple s’en câlisse que tu meures de faim.» Je me suis demandé d’où pouvait provenir ce sentiment d’appui chez Karine. Pas que j’accorde une grande rigueur aux données qu’elle évoque, mais tout de même, on ne fait pas preuve d’autant d’arrogance sans fondement. Qui est ce 80% dont je ne fais absolument pas partie?

Le gouvernement Legault s’est vanté d’avoir l’appui de la population avant l’adoption du projet de loi 21. Les différents sondages lui offraient en effet autour de 70% d’approbation, certains coups de sonde allant jusqu’à 74%. Visiblement, certaines personnes comme Karine extrapolent outre mesure autour de cette statistique.

Les lois s’arrêtent autour de ce consensus, disais-je. Il y a, vous en conviendrez, des consensus plus confortables que d’autres. Je ne crois pas que l’opinion de la majorité soit pertinente pour décider des droits d’une minorité qui, selon d’autres coups de sonde, fait l’objet de mépris et de crainte de la part d’une bonne partie de la population. Et contrairement à certaines lois adoptées à l’unanimité, la loi 21 a été adoptée sous le bâillon, en utilisant une clause dérogatoire, par un gouvernement élu par moins de 25% des personnes en droit de voter.

Même parmi ceux qui ont appuyé le projet de loi, il s’en trouve pour reconnaître, conscients des répercutions négatives chez certains groupes visés, qu’il s’agit d’un «mal nécessaire». Tout ça contribue à l’idée d’un consensus plutôt gênant. Je ne sais pas à qui la loi 21 permet de marcher la tête haute, mais, chose certaine, il n’y a pas lieu de bomber le torse.

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