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Célébrer la vie en Eeyou Istchee

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Maïtée Labrecque-Saganash - Métro

Au travail, je suis tombée sur un enregistrement audio d’une aînée qui racontait comment les femmes cries accouchaient auparavant. Elle y expliquait le processus de sélection des «sages-femmes» dans les camps, avant que des hôpitaux apparaissent sur le territoire. Elle avait 10 ans la première fois qu’elle a aidé à mettre un bébé au monde. Ma grand-mère a accouché de huit de ses enfants en forêt. Mon grand-père l’a aidée à accoucher de mon oncle «Red», et mon arrière-grand-mère l’a aidée pour les autres. Ils savaient exactement quoi faire.

En 2005-2006, le Conseil Cri de la santé s’est penché sur le fait que les femmes cries sont systématiquement envoyées en dehors des communautés pour accoucher. De là est venu le désir de ramener les naissances chez nous, dans un environnement familier et où les besoins des femmes pourraient être respectés. En 1999, l’UQTR offrait pour la première fois un baccalauréat en pratique de sage-femme. Les Cris ont donc fait leurs négociations, dans le cadre de la légalisation de cette pratique. Il y a maintenant quatre sages-femmes à Chisasibi, et deux bébés sont récemment nés, aidés par ces nouveaux services. Un événement puissant, selon Jessyka Boulanger, responsable des services de sage-femme.

On entend souvent des Cris d’un certain âge dire : «Moi, je suis un vrai Cri. Je suis né en territoire.» Bientôt, c’est d’autres générations qui pourront dire la même chose. Un genre de baume sur son identité.

J’entends souvent beaucoup­ de préjugés, à propos du métier de sage-femme. J’entends souvent dire que c’est irresponsable de ne pas aller à l’hôpital pour accoucher et que c’est un peu «grano». Ça m’horripile, sachant que les aînées de mon territoire ont mis au monde des enfants dans le bois, comme des championnes, pendant des millénaires. Elles savaient même quoi faire quand le bébé arrivait prématurément. Les sages-femmes issues du baccalauréat de l’UQTR savent agir en cas d’urgence et ont l’équipement nécessaire avec elles. Il y a aussi des examens préliminaires, pour s’assurer que la personne est en mesure de donner naissance avec leurs services. Elles travaillent évidemment de concert avec les médecins, infirmières, nutritionnistes et autres représentants de la santé de la communauté. Quand je demande si les femmes peuvent accoucher dans le bois avec les sages-femmes, on me répond: «Nous irons où elles voudront, tant que c’est dans un périmètre où on peut les évacuer en cas d’urgence.»

«Es-tu né dans un contexte de peur et de violence ou dans un contexte d’amour et de support?» est une question à se poser dans notre situation. Ces services ne sont pas imposés aux femmes cries, mais Jessyka Boulanger rappelle qu’ il est important de donner des options aux femmes. Elles permettent aussi de faire les cérémonies traditionnelles entourant les naissances et ont travaillé étroitement avec des aînées. Ce programme s’inscrit donc dans un processus de décolonisation et vise à célébrer la vie en Eeyou Istchee. Trois maisons de
naissance seront construites sur le territoire. On entend souvent des Cris d’un certain âge dire : «Moi, je suis un vrai Cri. Je suis né en territoire.» Bientôt, ce sont d’autres générations qui pourront dire la même chose. Un genre de baume sur son identité.

Ma grand-mère est décédée le 7 juin dernier. Le départ de nos aînés est difficile, car en plus de notre propre deuil, nous perdons toute une encyclopédie sur les savoirs et les traditions. Je suis donc heureuse que nos institutions s’investissent dans la documentation et la pratique de ceux-ci, surtout avec le service de sages-femmes, qui est le premier en son genre, en territoire de Premières Nations, au Québec. J’ai beaucoup parlé de la mort de ma grand-mère, ces derniers temps, mais il y a aussi la vie à célébrer.

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