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Les conditions de la rédemption

Judith Lussier

Tout le monde devrait avoir droit à une deuxième chance. C’est le cas d’Aziz Ansari, comédien de la série Master of None, qui a été l’objet d’un scandale dans la foulée de #MeToo. L’humoriste fait un retour avec son spécial Right Now, sur Netflix, dans lequel il aborde habilement la controverse. Trop habilement, peut-être. 

Pour plusieurs, le cas d’Aziz Ansari symbolisait les débordements potentiels du mouvement de dénonciation, puisque la situation dénoncée par sa victime pouvait sembler ambiguë. Pour d’autres, cette mauvaise histoire d’un soir rappelait trop de moments où un rapport sexuel avait été amorcé par des pressions excessives. La situation dépeinte ouvrait à tout le moins la porte à une importante discussion sur le consentement.

C’est d’ailleurs de cette manière qu’Aziz Ansari amorce son spectacle. «Ça m’a permis à moi, mais aussi à d’autres, d’être plus sensible, et ça, c’est une bonne chose», dit-il, après avoir expliqué s’être senti «humilié», «effrayé», «gêné», mais aussi «désolé que cette personne se soit sentie comme ça». Même si la phrase ressemble à celle écrite habituellement par des avocats, la contrition d’Ansari, faite avec humilité, a toutes les apparences d’un pas dans la bonne direction. Sans s’excuser réellement, l’humoriste reconnaît la légitimité du débat ayant entouré la dénonciation de ses comportements. 

C’est la moindre des choses. Être dans la lumière est un privilège, et la rédemption devrait être conditionnelle à une réelle introspection. Une introspection qui implique une reconnaissance du problème, mais aussi une modification de l’attitude à l’origine du problème. En montant sans s’être annoncé sur la scène d’un comedy club moins d’un an après avoir admis s’être masturbé devant plusieurs femmes sans leur consentement, Louis CK, par exemple, reproduisait l’attitude qui lui était reprochée. De la même manière, Kevin Spacey, accusé d’agression sexuelle sur un garçon de 18 ans, a tenté un retour en publiant une vidéo bizarre dans laquelle il adoptait l’attitude défiante de son personnage Frank Underwood. Or, l’arrogance est malheureusement le privilège de ceux qui ne sont pas accusés d’agression sexuelle.

Aziz Ansari évite habilement ces pièges. Son attitude est la bonne. Son discours, par contre, dit autre chose. Il passe un long moment à ridiculiser la culture de dénonciation, selon laquelle on serait tenté de s’indigner au moindre faux pas. Ce faisant, n’est-il pas en train de nous dire qu’on l’a ainsi condamné trop rapidement? Il attrape ensuite ses fans en flagrant délit de s’être exprimé par applaudissement sur un enjeu… inexistant, concluant qu’on a une opinion sur tout, même quand on ne dispose pas de tous les faits. Il aborde après la délicate question de la musique de Michael Jackson, qu’il est gênant d’écouter après les allégations de pédophilie faites contre lui, un plaidoyer bien commode en faveur de notre capacité à séparer l’homme de l’œuvre. 

En fournissant autant d’arguments en sa faveur, Aziz Ansari trahit-il, sous ses airs repentants, le comportement manipulateur qu’on lui a reproché dans la foulée de #MeToo? Les spectateurs sont en droit de le penser. Car si tout le monde a droit à une deuxième chance, les conditions de la rédemption, elles, laissent peu de place à l’ambiguïté. 

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