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La poursuite-bully

Frédéric Bérard

L’affaire est pratiquement passée sous silence: Richard Martineau, d’un côté, et Marc-André Cyr, Alexandre Fatta et Ricochet, de l’autre, s’entendent à l’amiable enfin d’enterrer la poursuite en diffamation de quelque 350 000$ intentée par le chroniqueur de Québecor. Le tout, comme il arrive souvent, tout juste à la veille du procès. Truc original et inusité, les conditions de ladite entente sont rendues publiques. On y apprend qu’aucune compensation n’a été versée et qu’il est permis de discuter du règlement en tous lieux. 

Lire entre les lignes: souhaitant éviter un procès où il aurait été ironiquement une cible de choix, dans l’optique où la défense se serait gargarisée de ses contradictions en matière de liberté d’expression, Martineau a déposé un genou par terre. De là, on l’a compris, l’incapacité d’exiger la confidentialité de l’entente hors-cour, pourtant classique dans ce type d’arrangement. 

Afin de justifier l’affaire, le chroniqueur invoque sur sa page Facebook que sa décision a été prise «afin d’éviter un long procès, qui, vu le climat de polarisation existant, se serait transformé en cirque et en duel à finir entre la gauche et la droite. Je ne crois pas que nous ayons besoin de ce genre d’affrontement public actuellement, le climat étant déjà beaucoup trop hystérique comme c’est là.» Ouin. Nice try, mettons.

On parie que ses avocats de Norton Rose, dont certains touchent 1000 balles l’heure, lui ont fait comprendre que ses chances de succès étaient parfaitement minimes sinon inexistantes?

Parce que cette même polarisation existait bel et bien avant la poursuite intentée. Idem pour le climat hystérique. Rien de neuf, en fait, qui aurait pu justifier le retrait d’une poursuite. On parle ainsi, et c’est plate à dire, d’une excuse. Richard Martineau, en d’autres termes, a eu peur. On parie que ses avocats de Norton Rose, dont certains touchent 1 000 balles l’heure, lui ont fait comprendre que ses chances de succès étaient parfaitement minimes, sinon inexistantes? Un brin cher, surtout pour se faire rincer en pleine salle d’audience.

Parce que même s’il doit être ultra-désagréable de voir sa personne se faire humilier par l’entremise d’une fausse chronique nécrologique, reste que celle-ci ne franchissait en rien les paramètres protégés par la liberté d’expression. Celle-ci se voulait dure, salope, sans merci. Mais illégale? Non. La chose, évidemment, aurait été différente si on avait en l’espèce encouragé ou souhaité la mort du chroniqueur. Même dans le cas de la caricature, où deux chiens se relaient afin de pisser sur la tombe de Martineau, on ne peut non plus conclure à de l’incitation criminelle à la haine ou autre. Dur, vache, de mauvais goût? Probablement. Mais rien, ici encore, d’illégal.

En fait, le truc devient ironique lorsqu’on sait que Martineau, à l’époque de Voir, avait servi la même médecine à son employeur d’aujourd’hui, Le Journal de Montréal. Fausse chronique nécrologique (façon de parler, puisqu’il s’agit évidemment d’une personne morale), portant des accusations percutantes sur l’œuvre et l’héritage du Journal. Et doublement ironique lorsqu’on connaît la véhémence avec laquelle Martineau a toujours défendu Charlie Hebdo, dérapages inclus, au nom de la… liberté d’expression. 

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Un aveu, maintenant: je l’aime bien, moi, Martineau. Pas ses idées, bien entendu, ni sa manière de les rendre. Mais le gars, oui. Parce que pour l’avoir rencontré, on parle d’un cool guy. Classe et humour. Loin d’être le jambon qu’une certaine gauche aime décrier. Et quant aux idées en question, il restera des contre-chroniques pour les planter, et vice-versa. Cependant, pour qu’ait lieu ce dialogue indiciblement névralgique pour la démocratie, il faut éviter l’intimidation par voie de poursuite-bully, laquelle provoque, du fait des coûts engendrés et de la perte d’énergie inhérente, la pire des censures: l’auto.

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