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Avance, Hercule

Pour l’électeur moyennement allumé, il est fréquent, voire monnaie courante, de se sentir comme le dindon de la farce. D’avoir l’impression que le politique, au comportement roublard, se paie sa gueule. À rabais, d’ailleurs.

Une illustration récente? La Loi sur la neutralité religieuse de l’État (loi 62), laquelle, selon la ministre Vallée, n’a rien à voir avec la… religion. Rien à voir non plus, a plaidé la ministre, avec une vulgaire charte du linge, référence ici à peine voilée (pardon) au projet de charte des valeurs jadis présenté par le PQ. Pourquoi alors interdire autant cagoules que lunettes de soleil? Allez savoir.

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Le récent rapport du député libéral devenu ministre André Fortin constitue une nouvelle manifestation de ce qui précède. On y affirme que le gouvernement québécois doit abolir les clauses «orphelin», particulièrement dans les régimes de retraite et les assurances collectives. Et pourquoi? Parce qu’il s’agit ici, par définition, de discrimination pure et simple. Une clause de disparité de traitement (terme juridique pour «clause orphelin») existe effectivement lorsque des conditions de travail moins avantageuses sont accordées, sur la seule base de la date d’embauche, à un salarié qui exécute pourtant des tâches similaires à ses collègues embauchés avant lui.

En fait, même si quelques amendements apportés en 1999 à la Loi sur les normes du travail visaient à les éradiquer, il reste que certaines clauses de ce type subsistent dans des assurances collectives et des régimes de retraite. Il suffirait donc d’interdire ces clauses partout en modifiant, une bonne fois pour toutes, la Loi sur les normes du travail.

Simple comme bonjour? Oui. Mais non. Enfin. Connaissez-vous l’expression «souffler le chaud et le froid»?

Le chaud : non seulement André Fortin se montre d’accord avec le principe de l’abolition complète des clauses en question (ce qui tombe sous le sens), mais il presse aussi son propre gouvernement d’agir rapidement à cet effet (ce qui tombe sous le sens, bis). Comme il le dit lui-même : «Le Québec doit envoyer un signal clair [selon lequel] l’équité intergénérationnelle est un enjeu qu’il portera au-delà de ses frontières [et qu’il doit être un] leader canadien.»

Le froid : les modifications proposées à la loi, ajoute le désormais ministre Fortin, ne devraient entrer en vigueur «qu’au moment de l’adoption, par l’ensemble des autres juridictions canadiennes, d’une législation similaire».

Drôle de oued. Agir rapidement en prenant son temps? Un genre d’«avance Hercule» nouvelle mouture? Être un leader et… attendre après Ottawa et les neuf autres provinces. Méchant leadership.

Une question : depuis quand Québec doit-il attendre la «permission» des autres paliers de gouvernement du pays avant d’agir dans ses propres champs de compétence? Comme le caricature Sophie Tremblay, présidente de l’incontournable Force Jeunesse, il serait presque plus difficile, de cette manière, de modifier les lois du travail afin de protéger les travailleurs québécois que de modifier la Constitution du Canada. Belle perspective.

Ici, le ministre Fortin plaide que «les enjeux de compétitivité liés à la présence de régimes multijuridictions sont à ce point importants qu’il ne serait pas approprié d’agir unilatéralement et hâtivement». Ah bon. Donc, on continue de discriminer parce que les autres le font, c’est ça? Espérons alors que les autres provinces n’ont pas l’intention prochaine d’aller se balancer en bas du pont…

@F_Berard

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