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Violer des droits

Photo: Getty Images/iStockphoto

Ainsi donc, et contrairement à ce qu’il avait prétendu dernièrement, le premier ministre Legault s’est (enfin) rendu à l’évidence: son projet de loi sur la laïcité emploiera, d’entrée de jeu, la très honnie disposition de dérogation.

Que signifie celle-ci, déjà? Que pour certains droits et libertés prévus aux Chartes, il sera possible pour le législateur, donc l’Assemblée nationale, de suspendre l’application de ceux-ci. Comme s’ils n’existaient pas, en somme. Pour combien de temps? Un maximum de cinq ans, avec toutefois possibilité de renouvellement ad nauseam.

Quoi en penser?

D’abord, que contrairement à ce que son ministre Jolin-Barrette lui soufflait jadis à l’oreille, il est maintenant convenu qu’une telle loi ne pourrait passer le test des tribunaux sans cette même disposition. Pourquoi donc? Parce qu’en suggérant qu’un individu puisse perdre son job ou être empêché dans obtenir un pour cause de port de signe religieux, elle heurte manifestement, et de plein fouet, la liberté de religion et le droit à l’égalité, tous deux protégés par les chartes québécoise et canadienne. Impossible donc, à moins d’être d’un jovialisme fini, de croire à une interprétation autre. En bref, sans cette même disposition, un pan important de la loi se dirige directement dans le drain.

Deuxièmement, qu’il faille rappeler que l’utilisation de cette même disposition de dérogation est parfaitement rarissime, et ce, pour des motifs faciles à comprendre: quel politicien souhaite se présenter devant l’électorat en se vantant d’avoir violé certains droits ou libertés? À une époque pas si lointaine, la chose aurait été du moins parfaitement inimaginable, ceci expliquant d’ailleurs l’absence d’utilisation de la clause par le Parlement fédéral et la grande majorité des provinces, Québec ayant pour sa part référé à celle-ci uniquement lors de l’invalidation d’une partie de la Loi 101 (arrêt Ford), avant toutefois de renoncer à son renouvellement du fait de la crise politique qui s’ensuivit (un blâme sévère de la part du Comité des droits de l’Homme de l’ONU devait effectivement refroidir les ardeurs du gouvernement Bourassa).

Troisièmement, que ceux qui tentent de justifier son utilisation en l’espèce en plaidant que celle-ci fait partie nos mœurs politiques ont, tristement, tout faux. Parce que de un, les cas où il fut question de suspension pour des trucs de fond, et non purement logistique, se comptent sur les doigts d’une main. Et de deux, on ne voit pas en quoi la récurrence d’une pratique néfaste, le cas échéant, viendrait légitimer cette même pratique.

Ensuite, qu’une partie appréciable de la loi en question, malgré l’utilisation de la disposition, se dirige néanmoins tout droit dans le mur. Pourquoi? Parce que deux volets de ladite loi ne peuvent être sauvegardés par la disposition. On pense ici à son application aux juges et aux employés fédéraux, questions relevant respectivement de la séparation des pouvoirs et du partage des compétences.

Rien à voir, bref, avec les Chartes et, ultimement, la disposition de dérogation. Par conséquent, seuls l’aspect «fonctionnaires provinciaux» (gardiens de prison, policiers et enseignants) pourra ainsi trouver application grâce à la disposition. Pour le reste, basta. Et une fois ces portions majeures de la loi invalidées? Et bien certains politiciens mal avisés, galvanisés par divers chroniqueurs l’étant tout autant, auront beau jeu de crier au meurtre, dénonçant à la fois le «gouvernement des juges» et la «Charte à Trudeau».

Tout ceci causé, au final, par une opération politico-médiatique méprisant les règles pourtant élémentaires de la protection des minorités et de l’État de droit. Sympa.

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