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Mon ami Louis

Frédéric Bérard

J’ai envie de te parler de mon ami Louis, un gars sympathique comme t’en as assurément jamais vu dans ta vie. Né en France, Louis a toujours eu un rêve un peu fou, léger hors norme à l’époque: venir vivre ici même, au Québec. Les grands espaces, la nature, l’aspect relax. Amoureux de pêche, le jeune Louis piaffe (le verbe, pas Édith) à l’idée de pouvoir un jour traverser l’Atlantique et faire de la Nouvelle-France son petit paradis, son eldorado.

À l’âge de 21 ans, la première étape est franchie: acceptation à l’Université de Sherbrooke, où il pourra faire sa troisième année d’étude en informatique, formation amorcée dans l’Hexagone. Opiniâtre et armé de bonne volonté, Louis obéit à toutes les règles possibles et imaginables afin d’atteindre, enfin, l’objectif tant souhaité: l’obtention d’un CAQ (certificat d’acceptation du Québec) et d’un permis d’étude valide pour un an. Victoire.

Dès qu’il met les pieds en sol québécois, un beau jour d’août 2015, le coup de foudre tant anticipé se réalise, comme ça, par magie. Vu sa nature affable, Louis devient rapidement le Français le plus populaire du coin. Les rencontres et amis s’accumulent. Il met ensuite son plan à exécution et obtient une extension de son CAQ (cet acronyme est d’une ironie absolue) et permis d’étude. Son amour du Québec est irrésistible, viscéral. Symbiotique, aussi. Parce que le Québec le lui rend bien. Intégré comme pas un, il trouve en claquant des doigts toutes sortes de boulots qui lui assurent de payer, sans problème, ses factures: restauration, mannequin, styliste et tutti quanti.

Diplômé, il obtient ensuite un permis post-diplôme lui assurant de travailler ici en attendant le fameux certificat de sélection du Québec (CSQ), lequel lui permettra éventuellement de mettre sur la main sur la résidence permanente, gage de la stabilité souhaitée. Bien qu’il se soit plié à toutes les exigences possibles et imaginables, dont un charmant et onéreux test de français (!), le truc tarde. Stressé, il communique avec un agent d’immigration, lequel lui dit de prendre son mal en patience, que même si son permis est expiré depuis mars 2018, la légalité de sa présence sur le territoire est implicite. Fort bien.

Février 2019: le monde de Louis s’effondre. Au propre comme au figuré.

Simon Jolin-Barette, ministre de l’Immigration ayant promis de réduire arbitrairement les seuils de celle-ci, en pleine crise de la main-d’œuvre, indique que les 18 000 dossiers de CSQ déposés avant août 2018 vont prendre le chemin des poubelles. Que ces bonnes gens rentrent chez eux ou procèdent à de nouvelles demandes. Trop tard pour Louis: sans CSQ et sans permis de travail, son statut est celui de l’illégalité. Il est sommé de quitter le pays. Le sien. Celui de ses amours trouvées. De son espoir. De sa sœur venue le retrouver depuis. De son avenir. De sa blonde, aussi.

Après quatre ans au Québec­, mon ami Louis a été traité cavalièrement, sans humanité. Avec toute la froideur et cruauté d’une bureaucratie et d’un ministre sans pitié.

Parce que, derrière un numéro de dossier, une vie humaine a basculé dans le néant, la tristesse et la douleur. En embarquant dans l’avion, samedi dernier, Louis n’a pu réprimer les mots suivants: «Le Québec m’a fait rêver, mais le Québec vient de me briser.»

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