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Démocratie caquiste

Frédéric Bérard

C’est fait, le projet de loi 21 est adopté. Son ministre en charge, Jolin-Barrette, en a ainsi profité pour réaliser une triste première dans l’histoire de la politique québécoise : amender la Charte des droits et libertés sans consensus et par voie de bâillon. Édifiant. Comme si ces mêmes droits, pourtant fondamentaux, reconnus par tous les instruments internationaux auxquels souscrit Québec, revêtaient des allures de vulgaire tapis sur lequel il était loisible d’essuyer ses espadrilles de course. De quoi faire retourner dans sa tombe un René Lévesque, qui avait coutume de dire que, «des droits, ça ne s’enlève pas, ça se donne». Triste époque. Mais au-delà des manœuvres indignes des concepteurs de la démocratie parlementaire et de l’État de droit, la rhétorique employée pour justifier pareil accroc est, si cela était possible, encore plus désolante.

Étonnamment candide, le chef de cabinet de Legault, Martin Koskinen, en a fourni une preuve supplémentaire ce dimanche, au moment même où les travaux étaient en cours (et que Jolin-Barrette gambadait alors dans les prés). Sur Twitter, il lance, triomphant : «Suite à l’adoption du projet de loi 21, j’ai bien hâte de voir si les candidats à la direction du @LiberalQuebec s’engageront à abroger la loi pour permettre le port de signes religieux.»

Voilà pour la stratégie : à force de se voir marteler (merci au Petit Québécor Illustré) que les valeurs québécoises sont assaillies par la menace islamiste, il est effectivement peu probable qu’un parti puisse prochainement convaincre l’électorat de la bêtise d’une telle loi. L’art de la politique, disait Schmitt, est celui de se créer des ennemis. Leçon apprise, manifestement.

De quoi faire retourner dans sa tombe un René Lévesque, qui avait coutume de dire que, «des droits, ça ne s’enlève pas, ça se donne».

À ma remarque, le remerciant d’avouer la stratégie électoraliste et populiste derrière l’opération, c’est-à-dire de faire de la petite politique sur le dos des droits fondamentaux, Koskinen m’accuse de «jouer au donneur de leçons», et précise que la démocratie parlementaire a aussi un sens», et termine en affirmant que «mes attaques mesquines ne m’honorent pas». Passons sur l’attaque personnelle, laquelle ne fait que reprendre les lignes (vainqueresses) de la dernière campagne, et portons attention à la question de la démocratie parlementaire.

Vrai, évidemment, que celle-ci est d’une importance indubitable. Mais Koskinen sait-il à quel point elle est encadrée, à juste titre d’ailleurs, par l’État de droit? Qu’un régime parlementaire à la Westminster, où tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains du premier ministre, n’a que le pouvoir judiciaire comme contrepoids? Or, on s’en souvient, Jolin-Barrette et compagnie se font un point d’honneur d’invoquer la disposition dérogatoire afin de soustraire leur loi au contrôle des tribunaux. François 1er, donc? Et pourquoi une telle décision si, comme le prétend le ministre, la loi en question est assurément constitutionnelle?

Le chef de cabinet poursuit : «[…] Le peuple est dangereux selon vous. Ne comprenez-vous pas que cette attitude nourrit les extrêmes?»

D’abord, à voir les réactions islamophobes (concept d’ailleurs refusé par son patron) à la suite de l’adoption de la loi, c’est à se demander qui nourrit les extrêmes ici. Et quant au fait que le peuple, à mon avis, serait dangereux, n’est-ce pas la manière populiste classique d’expulser du débat public ceux qui remettent en cause certains agissements et décisions? D’aucuns le croiraient.

La meilleure? Que le gouvernement vient d’annoncer son intention de réformer le parlement afin de réduire la «perte de temps», voire d’amenuiser les périodes offertes à l’opposition afin de discuter et de contester les projets de loi. Triste époque, disions-nous.

*Me Frédéric Bérard est avocat-conseil auprès du cabinet Mitchell Gattuso, lequel a récemment entrepris un recours en injonction contre deux ministères québécois.

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