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Imaginer Sisyphe heureux

Frédéric Bérard

Un peu redondant pour les lecteurs/lectrices de cette chronique, mais voilà: je suis, manifestement et définitivement, éco-anxieux.

D’une lourdeur rampante, même, je dirais. Parlez-en à mes amis qui, malgré la plus grande mansuétude ou empathie du monde, ne savent tout simplement plus quoi me dire afin de stopper la chute.

Dans une de nos petites soirées fréquentes, je suis, croyez-moi, celui qui fout les boules à tout un chacun. Et pas toujours en fin de soirée, c’est dire. En bref, si vous êtes joyeux et que je vous invite pour un verre, dites non. Fermement. Et persistez.

Trêve d’idiosyncrasie. Cela dit, un des plus gros problèmes réside justement sur ce point précis: ces amis, d’ordinaire plus cultivés et intelligents que moi, peinent à me convaincre que la fin approche. Pourquoi? Ben parce que c’est la réalité, tout simplement.

Vous avez vu la vidéo d’Aurélien Barrau, astrophysicien? Le titre : «Je n’ai plus peur de dire que c’est la fin du monde.» Voilà. Chic de même. Il démontre, milles preuves à l’appui, que «nous sommes à mettre en œuvre le crash du système Planète Terre». Juste ça.

Et pendant ce temps, les dirigeants-gorlos se bidonnent. Bolsonaro, notamment, celui-là même qui est en train de faire raser le poumon planétaire. Aux questions de journalistes sur le réchauffement climatique, le facho-élu réplique qu’il suffit «de faire caca aux deux jours. Ah ah ah!» Des coups de pied au cul qui se perdent, disait (feu) mon grand-père.

Dans le même rayon de la connerie décomplexée, une étude récente démontre qu’une partie appréciable de climatosceptiques considèrent la lutte contre les réchauffements comme étant un truc essentiellement «gai», donc répréhensible par conséquent. En bref, on n’en sortira pas. Pas vivants, du moins.

En bref, on n’en sortira pas. Pas vivants, du moins [de la lutte au changement climatique].

Vous vous souvenez peut-être le plomb absolu que j’ai sauté lors des attaques, mesquines et patriarcalement loufoques contre Greta Thunberg. La jeunesse, écrivais-je, est, si cela existe encore, la seule porteuse d’espoir. À défaut de l’aider, crissons-lui alors, décence la plus élémentaire, au moins patience.

C’est ensuite que devaient sortir publiquement les résolutions des jeunes de nos partis québécois. J’attendais, comme plusieurs autres, une position marquée et irréfutable envers l’environnement. Pouet pouet. Alors que les jeunes caquistes (un oxymore) nous disent que tout va bien, les jeunes libéraux, malgré des intentions louables d’en faire leur fer de lance, n’ont pu refuser l’invitation au dîner de cons: revenir sur la question… identitaire. L’interculturalisme plutôt que le multiculturalisme.  Et la différence, vous la connaissez ? Moi pas. Parce qu’au mieux ultra-méga-mièvre.

-Ginette! M’a voter libéral aux prochaines!

-Es-tu viré fou?

-Ben non, ils proposent maintenant l’interculturalisme!

-Pas sérieux?! Ben moi aussi d’abord!!

Du gros symbole électoraliste sans souffle. Ma proposition, pour une prochaine: tenter de tacker du jello sur des murs en gyproc. Voilà, tant qu’à faire, un exercice au moins (volontairement) comique.

La résultante? Le gloussement amusé des chroniqueurs de l’Empire, bien heureux du choix (malheureux). Et pendant que l’on imagine, à nouveau, l’invasion du turban imaginaire, au diable la survie de l’humanité. Mais bon, comme me disait récemment un lecteur exaspéré: «Laissez tomber le morceau, c’est terminé. La fin du monde est non seulement annoncée, mais irréversible. Quant à moi, ce qui m’intéresse, c’est l’avenir de l’identité québécoise.» Ok Monsieur. Incandescent espoir. Enfin.

Vous connaissez Sisyphe, de l’essai de Camus? Le bougre roule sa roche avec une indicible résilience jusqu’au sommet de la colline, et la regarde ensuite redescendre. Et il recommence, machinalement et inlassablement. Aucun espoir, donc. Pas de destin, de dire le Prix Nobel, qui ne se surmonte par le mépris. Mieux : «Il faut imaginer Sisyphe heureux». Serait, d’ici la catastrophe, parfait. Idéal, même. Mais tsé…

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