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Un peuple et ses animaux

Frédéric Bérard

Chaque année, fin juin ou presque, mes yeux sursautent, invariablement, à la lecture d’un message particulier sur les réseaux sociaux: celui qui enjoint le citoyen à ne pas abandonner derrière lui, pour cause déménagement, son animal de compagnie. Probablement pour frapper davantage l’imaginaire, des mèmes impliquant tantôt Boule et Bill, tantôt Tintin et Milou. Chaque année, donc, la même exclamation revient systématiquement: mais kessé ça ******? Qui ? Qui agit ainsi? Qui peut bien laisser à l’abandon ce membre de la famille, cette bête autant loyale que vulnérable, indicible geste de lâcheté?

Appel auprès de l’ami Alain Roy, sommité en matière de droits des animaux.

– Alain, comment t’explique cette bêtise sans nom?

– Triste symptôme d’une société qui voit l’animal comme un simple bien de consommation qu’on sacrera aux poubelles dès lors qu’il ne cadrera plus avec nos nouveaux plans ou qu’il pourrait salir ou grafigner nouveau divan. Alors que aménager ses plans futurs en fonction de l’animal, on fait le contraire.

Il faut être vraiment d’une cruauté sans nom pour laisser derrière soit un être sensible qui dépend entièrement des soins qu’on lui donne.

***

Moi qui a deux jeunes labradors, chaque départ pour un séjour à l’étranger, bref ou long, m’arrache le coeur. Même si je les sais en parfaite sécurité avec leur gardien.ne temporaire, reste que leur regard du type «où t’en vas-tu encore, espèce d’enfoiré?» me vire à l’envers. Particulièrement la dernière fois où Che, mon plus jeune, s’est mis en travers de la porte, agrippant ses grosses pattes à mes épaules, dans l’espoir de me faire déposer mon bagage et, ultimement, annuler mon départ. Juste à y repenser, des frissons. Dépourvu de sentiments, le chien? Tu déconnes, et solide. Alors qui est le bougre-psychopathe-de-sans-coeur pouvant procéder à une telle machination?

Afin d’en savoir un brin plus longuement, j’ai pris contact avec Amélie Martel, directrice du bien-être animal à la SPCA de Montréal. Celle-ci se veut, en plus précis, en charge de l’ensemble des animaux destinés au refuge de l’organisme, lesquels y seront nourris, nettoyés, entraînés et qui, avec un peu de chance, se retrouveront ultérieurement en foyer d’accueil ou d’adoption. Un job noble, comme il s’en fait peu. Surtout en ces temps de COVID, venue par définition embêter l’ensemble des opérations d’une Société pourtant si névralgique. Malgré une limitation afférente à la pandémie, donc, 392 chiens et 1 580 chats, auxquels s’ajoutent une multitude d’autres petits animaux de compagnie, ont passé les portes de son refuge et ce, entre janvier et juin 2020. Ces chiffres sont, tenez-vous bien, majestueusement plus bas que ceux enregistrés en temps normal. C’est dire.

Il faut être vraiment d’une cruauté sans nom pour laisser derrière soit un être sensible qui dépend entièrement des soins qu’on lui donne.

Mais qu’est-ce qui peut bien, outre un état de psychopathie incurable, le fait de laisser son animal derrière lui ou elle? La directrice fait preuve de nuances: «Les abandons, on en voit de toute les sortes. En cette période de l’année, ça va de la personne qui a laissé ses animaux derrière dans un appartement à moitié vidé à la personne super bien intentionnée qui est déchirée de laisser son animal à un refuge faute d’avoir trouvé un logement qui les accepte, car honnêtement, ce n’est pas évident. Je l’ai vécu moi-même avec mon chien […]. On a reçu une centaine d’appel depuis le 1er juin pour des situations similaires à celle que j’ai vécue.»

Et encore:

«On a aussi les abandons qui nous crèvent directement le cœur. Les animaux laissés pour compte à l’extérieur ou dans des unités d’habitation. Même si c’est une minorité, elle est frappante. […] C’est à nous de porter le lourd fardeau de mettre fin à leurs souffrances psychologiques ou physiques alors que c’est un problème beaucoup plus grand, un problème de société. Encore la semaine dernière, un chien d’éleveur, abandonné au refuge à un an après avoir vécu l’enfer pendant les 12 derniers
mois de sa vie.»

Problème de société, donc. Dixit Ghandi: «On reconnaît la valeur d’un peuple à la façon de traiter ses animaux.»

Matière à réflexion.

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