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Le 30 octobre 1995

Frédéric Bérard

Le bar est lugubre, triste. Un chantier de ruines, dira plus tard, et dans un contexte similaire, Monsieur. Celui-là même qui, alors que je m’avance plus en profondeur dans l’établissement lauriermontois, s’apprête à balancer les termes mortifères : «C’est vrai qu’on a été battus, au fond, par quoi  ? Par l’argent pis des votes ethniques, essentiellement.»

La foule se lève d’un bond pour applaudir le premier ministre du Québec.

Charbonneau, un peu rond, s’écrie : «Kin mes tabarnac!». Une dame à côté de lui renchérit : «Enfin quelqu’un qui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas…» S’enchaîne ensuite une ribambelle de commentaires odieux, sinon abjectes. Racistes et dégradants, pour tout dire. 

Le ti-cul que j’étais alors, du haut de ses dix-huit ans et de son premier vote à vie, est sonné. Parce qu’il a mal, se sent floué. Parce qu’il a passé la campagne référendaire à se taper porte-à-porte, conférences, débats et autres trucs cégépiens afin de convaincre d’adhérer à ce projet rassembleur : celui de créer un pays. Pour tous et chacun. Sans égard à la race, langue ou religion. 

Pendant que les médias faisaient leurs choux gras de la boulette de celui qui, peu après, allait laisser sa place à Lucien Bouchard, je réfléchissais à une autre citation, davantage problématique, prononcée lors de ce même discours : «Ce que nous sommes [i.e. les francophones] a voté OUI à 60%.» 

Pas besoin d’un cours en syllogismes avancés afin d’en saisir la substance : seuls les francos peuvent, au final, se réclamer du droit d’être Québécois à part entière. C’est ainsi que, le 30 octobre 1995, fut assassinée une partie de mes convictions d’antan.

Quelques années plus tard, je devais inviter ce cher Monsieur pour une conférence à l’Université de Montréal. Les quelques heures en sa compagnie me suffirent à enterrer l’amertume que j’éprouvais alors à son endroit. Sa culture générale, son amour profond de sa nation jumelé à ses voyages à l’extérieur de celle-ci, ses études au LSE me rappelèrent l’évidence : il est loisible d’être indépendantiste et de refuser le pain à la sauce identitaire. Mais encore heurté de ma première (et seule grande) peine d’amour politique, la méfiance survit. 

Avec raison, d’ailleurs. Parce qu’après avoir perdu le pouvoir aux mains du triste Charest, le PQ se rend aux chants des sirènes dressées par une ADQ flirtant avec un discours rendant l’Autre, i.e. l’antithèse du Nous, résolument suspect  : sa faute, le recul du français (ignorons, ô combien pratique, le presque 50% de pur-laines analphabètes)? 

Sa faute, le (faux) déluge de demandes d’accommodements «déraisonnables» (cabane à sucre, quelqu’un?).

Sa faute, le «refus d’intégration» (on attend encore la preuve, d’ailleurs). 

Sa faute, le Bonjour/Hi du Carrefour Laval (vous savez qu’il est possible d’arrêter d’y acheter vos cossins, au fait?).

Résultat? Alors que trop de citoyens s’adonnent aujourd’hui à la chasse au voile (1-800-INTÉGRISSES, pour dénonciation) et autres grattages de couilles identitaires, l’essence du projet galvaniseur imaginé par Lévesque, Monsieur, Godin et compagnie est aujourd’hui occulté de l’espace public.

Résultat (bis)? On aura fini par croire que l’identité québécoise se traduit à une opposition à l’Autre [insérez ici la saveur du mois], alors qu’il en n’est rien, bien entendu. 

Vivement un retour à l’ouverture, le regroupement et l’absence de méfiance inter-différences. Terminado, la paranoïa sans fondements.  Que l’on enterre, collectivement, le squelette de la bourde du 30 octobre 1995.  

Minuit moins quart? Probablement. Peut-être même quatre heure du matin. Mais qu’importe. On se crache dans les mains, et on
recommence?

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