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Salut, Jacques!

Foulard lumière

Tendresses printanières. Connaissez-vous Jacques? Jacques va quelque part, contrairement à nous tous, qui errons dans la ville sans destination précise en nous dressant sur son chemin comme de ticounes obstacles. C’est que Jacques a une petite liste remplie de choses importantes à cocher, chaque jour. Pour Jacques, chaque heure, CHAQUE SECONDE, est un accomplissement qui mérite d’être nommé. Respecté. Oscarisé, peut-être, pourquoi pas! *Rires cristallins de Jacques* (il a déjà joué un vicaire dans une séance, en 7e année).

Discret comme un grand vase de Chine à l’entrée d’un hôtel chic, Jacques ne prend que très peu souvent la parole. C’est qu’il a, au fil du temps, développé une série de postures et de sons dont il maîtrise chaque intention pour livrer ses petits messages sucrés. Ce matin, par exemple, Jacques était en file à cette petite boulangerie de quartier, SA petite boulangerie, parce qu’après tout, quand t’achètes tes cœurs de palmier à la même place, chaque jour, depuis 15 ans, tu estimes que la place t’appartient un petit peu. On apprécie ta clientèle. Ça fait que ce matin, donc, quand la petite serveuse, encore une nouvelle, t’a demandé ce qu’elle pouvait te servir, tu as estimé, Jacques, qu’un long silence, un silence au cours duquel tu soutenais son regard comme seul Sean Connery savait toiser Richard Geere dans Le premier chevalier, lui ferait comprendre, à la jeune fille, qu’elle était supposée la connaître, ta commande. Tout le monde la connaît!

Jacques, tu estimes que la boulangerie du quartier t’appartient un petit peu. C’est pourquoi, quand tu as lancé ta poignée- de trente sous sur le comptoir vers la petite serveuse – encore une nouvelle –,  tu as largué le plus coloré des soupirs de vicaire.

Un cœur de palmier et une napkine, mais pas dans le sac, la napkine. C’est pas compliqué, te semble-t-il. C’est quand même spécial, comme commande. On s’en souvient. On te le dit d’ailleurs souvent, et ça te fait très plaisir parce que c’est vrai, que tu es spécial. Alors quand la gérante, une bonne petite femme, a sauvé la triste scène in extremis en te servant avec cet empressement pavé d’excuses et le professionnalisme qui te reviennent, tu lui as donné une petite leçon, à la petite serveuse. La prochaine fois, elle se souviendra de toi et de tes goûts pour la viennoiserie balnéaire. On apprend tous les jours, que tu t’es dit; c’est vrai, dans le fond. Elle ne pouvait pas la deviner, ta commande. Mais ton silence solennel a donné le ton pour tes futures visites; Jacques, on ne l’oublie pas. Il fait partie du patrimoine du quartier.

C’est pourquoi quand tu as lancé ta poignée de trente sous sur le comptoir, pendant que la petite fille de l’autre côté de la caisse cherchait en tremblant le damné bouton sur lequel appuyer, nul doute habituée, dans ses quatre heures d’expérience cumulées depuis le matin, à pitonner les croissants et les cafés, tu as largué le plus coloré et le plus déçu des soupirs de vicaire en faisant aller ta petite tête coiffée de ta casquette de golf printanière. Elle est sûrement encore après le chercher, le piton des cœurs de palmier. Ha! Pauvre petite fille. On apprend tous les jours. Et aujourd’hui, elle aura appris le respect, pis le sens de la déguédine.

Salut, Jacques! Et la bise.

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