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Le foulard

Foulard lumière

Cernes de cent lieues et mirlitons sur le crâne. Décembre (le mois, pas la comédie musicale), à l’instar de l’agrile du frêne, nous consomme le bulbe jusqu’au dernier vendredi avant le grand lousse.

Comme si chaque tâche et chaque rayure de post-it sur la grande liste des choses à avoir accomplies avant de s’être vidé le corps de tout son sang relevait du domaine du Piège de cristal.

J’ai le casseau en berne, à défaut d’évoquer ce mot qui rime avec «rebelotte» et qui traîne à terre, dans la glace noire et le gros sel semé par ce petit camion de trottoir qui roule à terrifiante vitesse.

Déchiquetée de fatigue, comme vous, à n’en pas douter.

Les foules, l’excitation d’autrui, ces cantiques imposés et ce vieux fond de scorbut qui attend la seconde précise
où le congé carillonnera pour m’abattre d’un franc coup de pelle sur le prélart et me garnir de cette fièvre-vapeur qui fera de fort beaux souvenirs sur les portraits de famille.

Dans ces moments de patience dépecée jusqu’au dernier nerf, il m’arrive de ne voir que mon reflet dans le miroir.

Ma si grande, si théâtrale et sinistre fatigue dont moi seule saisis la teneur et la grande pertinence, larmoyante et hormonale.

Une tragédie.

Mais en montant les marches vers la sortie du métro Mont-Royal, ce tout petit brin d’homme, recroquevillé au sol directement sur les tuiles les plus froides de toute l’histoire des tuiles froides, endormi près de son butin: une clémentine, six cigarettes laissées par un passant, quelques sous, tout juste assez pour s’offrir un tiers de café.

Je ne l’aurais sans doute pas remarqué, dans cette foule dense et narcisse, si la jeune fille qui marchait devant moi ne s’était pas arrêtée sec pour dénouer son foulard de laine et le déposer près du dormeur des glaces, délicatement plié avec le soin d’une sœur.

Il faisait si froid.

«Je ne l’aurais sans doute pas remarqué […] si la jeune fille qui marchait devant moi ne s’était pas arrêtée sec pour dénouer son foulard de laine et le déposer près du dormeur des glaces, délicatement plié avec le soin d’une sœur. Il faisait si froid.»

Mon cœur s’est alors détaché de mon poitrail pour rouler, à travers les chaudes mailles de ma veste de mohair, jusqu’au sol, se fracassant sur le plus terrifiant des lits de fortune.

Cette jeune femme, tout juste sortie du secondaire, n’a pas levé le nez sur cette confrontante fresque, pourtant parfaitement positionnée dans cette mer de gens dressés pour ignorer ce qui fait mal, et dont le courant voguait à vitesse Carnival Cruise vers la lumière et la puff d’air.

Ce foulard, nul doute imprégné du parfum de toute la bienveillance qui l’habitait au moment de se dénuder la nuque dans les rafales polaires, a sans nul doute adouci le plus abrupt des réveils de ce tout petit brin d’homme, comme une main sur l’épaule, un regard de feu de camp.

Si, dans ce marathon de «ce que l’on attend de vous», vous avez la bonté de glisser une paire de chaussettes de laine, ces mitaines qui ne vous servent pas tant ou ce pull bien chaud dans votre cabas lors de votre dernière ronde pré-festivités, adoucissez, vous aussi, la brunante d’un moins chanceux que vous. Un sourire. Un regard de mélisse. Un petit morceau de tendresse.

La bise.

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