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Plaidoyer pour la colère

Maïté Labrecque-Saganash

Certaines personnes m’ont fait remarquer que je semblais plus adoucie dans mes écrits, moins amère. Il est vrai que passer quelques mois à me faire bercer dans les bras de mon territoire apaise l’esprit. Trois mois à voyager de communauté en communauté et à regarder les grandes épinettes noires s’élancer vers le ciel. C’est ce qui est le fun avec Eeyou Istchee : on ne s’en lasse vraiment jamais. En relisant mes textes des derniers mois, il y a effectivement un contraste. Mais cette colère est toujours là, il suffit de savoir la canaliser et d’en faire quelque chose de productif.

Je vous avais déjà parlé d’un échange entre moi et le sénateur Murray Sinclair sur le pardon et la colère. Son calme m’a toujours impressionnée. J’ai toujours eu de la misère à comprendre comment on peut rester aussi calme après avoir récolté les témoignages des survivants des pensionnats autochtones pendant cinq ans. Je lui ai donc demandé comment il faisait pour pardonner et ne pas garder autant de colère à l’intérieur de lui. Le problème, c’est que quand on vient d’où je viens, la colère, on y fait face souvent. Il m’avait surtout dit d’accepter cette colère et d’en faire quelque chose de constructif. «La colère peut nous aider à passer au travers de bien des choses.» Oui, dans les derniers mois, la seule chose qui me restait était parfois la colère. On peut se sentir bien seule dans cette colère aussi. Je n’ai aucune idée vraiment de qui me lit, combien vous êtes. Parfois, être en criss seule avec Microsoft Word, c’est poche longtemps.

Le problème, c’est qu’on se fait aussi refuser notre colère. Je nous trouve durs avec les gens dont le seul moyen, pour se faire entendre, est de s’exprimer sans inhibition. À force de se heurter aux mêmes murs, on finit par ne plus mâcher ses mots. Si je pense à mon cas, je suis heureuse qu’à un certain moment, la colère m’ait aidée à passer au travers. Au moins, j’arrivais encore à ressentir quelque chose. Je n’étais pas encore vaincue. S’il y a quelque chose qui fait aussi peur qu’un excès de colère, c’est un excès de silence. Ça, je l’ai beaucoup vu dans ma communauté. Et c’est franchement triste.

Je suis encore en colère après beaucoup de choses, mais en étant chez moi, j’ai accès à plus de soutien, plus de doux. J’ai aussi réussi à équilibrer cette colère avec le reste de ma vie, car se donner un break, à un moment donné, c’est important. Quoiqu’il y ait quelque chose de poétique à voir des gens, collectivement, se lever et exprimer leur colère. Si c’est l’unique vecteur de changement à certains moments, pourquoi pas? Bref, je vais bien. Je vais mieux.

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