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Chaakapesh

PHOTO MARCO CAMPANOZZI Image du chef de l'Orchestre Symphonique de Montreal Kent Nagano. Photo: Marco Campanozzi/Collaboration spéciale

Mes moments préférés, avec mon père ou les aînés de mon territoire, sont certainement les occasions où nous nous rassemblons autour de légendes. Ma préférée et la première qu’on m’a racontée est celle de Chaakapesh, l’homme sur la Lune. J’aimerais bien vous la raconter, mais on la raconte traditionnellement en hiver. Vous en avez peut-être entendu parler dans les médias, mais l’Orchestre symphonique de Montréal et des Autochtones ont collaboré ensemble pour créer Chaakapesh, le périple du fripon. C’est Tomson Highway, un auteur cri de Brochet, au Manitoba, qui s’est chargé d’écrire l’«opla» (opéra). Matthew Ricketts a fait la composition. Le spectacle est présenté dans six communautés autochtones: Kuujjuaq, Salluit, Kuujjuarapik, Oujé-Bougoumou, Mashteuiatsh et Uashat mak Mani-Utenam. Lundi, une énorme tempête s’est abattue sur la communauté d’Oujé-Bougoumou. Les musiciens de l’OSM ont donc répété dans le noir, alors que la panne d’électricité persistait. La communauté a mis la main à la pâte et plusieurs se sont mobilisés pour que le spectacle ait lieu malgré la température. Dans le confort de mon territoire, j’ai vu Kent Nagano et son orchestre mettre en musique les histoires de mon enfance.

On a tous une façon différente de raconter Chaakapesh, car c’est une légende qui transcende les nations et c’est toute une épopée. D’autres histoires s’y rattachent. Tomson Highway a raconté Chaakapesh d’une façon crue, magnifique et rassembleuse. Pas d’autocensure avec Highway: on traite de la colonisation sans aucune retenue, avec d’habiles jeux de mots et des jurons. C’est ce que j’apprécie tout particulièrement dans ce projet. Au lieu de diluer notre rapport à la colonisation et de nous dire comment nous sentir face à notre histoire, notre colère est accompagnée d’un orchestre. Dans l’histoire, c’est Chaakapesh qui enseigne une leçon aux colons pour qu’ils cessent de massacrer les Béothuks. L’opéra s’adapte aussi aux communautés qu’elle visite. Florent Vollant fait la narration en innu aimun, Akinisie Sivuarapik la fait en inuktitut, et Ernest Webb, en eeyou iyimun. Selon le territoire où il se trouve, l’opéra inclut aussi un segment qui représente les gens de la région. C’est également une importante leçon pour ceux qui nous ont dit qu’il n’était plus possible de faire de l’art sur les Autochtones sans qu’on se fâche. Quand c’est bien fait et quand nous sommes convenablement inclus dans le projet, tout est possible. Dans toutes les communautés, les musiciens de l’OSM prennent le temps d’échanger avec les enfants et de leur montrer leur expertise. Magnifique, non?

À Oujé, l’OSM a eu toute l’expérience «rez»: les chiens qui se faufilent entre les violonistes, les gens habillés en camouflage et la panne de courant. C’est ce qui était beau: même si on ne retrouve pas d’orchestre chez nous, ça nous ressemblait quand même. J’ai passé une belle soirée digne d’un véritable échange culturel.

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