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Avant l’orignal, le caribou

NATHAN DENETTE / La Presse Canadienne Photo: Nathan Denette/La Presse canadienne

Lire sur les changements climatiques me ramène toujours à la maison en pensée. Waswanipi, pour moi, est encore une histoire inachevée, un récit qui me glisse entre les doigts, alors que ma grand-mère prend de l’âge. J’en parle souvent, par amour, mais aussi par inquiétude. Quand j’ai des questions sur Waswanipi, j’appelle Paul Dixon au Cree Trappers’ Association. Il parle beaucoup et ça tombe bien, car j’aime écouter. Il me dit toujours : «Mon père parlait de ton grand-père, William Saganash, comme s’il était encore vivant.» Quand je veux discuter de protection du territoire ou de changements climatiques, c’est aussi lui que j’appelle. «Je me souviens de la première fois où nous avons entendu le tonnerre en plein mois de février. Nous étions environ 90 personnes à l’avoir entendu, durant une assemblée 
générale de la communauté», me dit-il.

Paul me dit qu’en 15 ans, plusieurs sont morts parce que la glace a cédé sous leurs pieds, alors qu’il est habituellement sécuritaire de marcher sur celle-ci. Des aînés, entre autres. Il me dit aussi qu’il n’y avait pas de neige mouillée après novembre, auparavant. Ma conception des changements climatiques se base surtout sur ce que je lis et ce que je vois à la télévision; alors discuter de ça avec quelqu’un qui n’utilise pas le même vocabulaire et les mêmes références est intéressant.

Ma conception des changements climatiques se base surtout sur ce que je lis et ce que je vois à la télévision; alors discuter de ça avec quelqu’un qui n’utilise pas le même vocabulaire et les mêmes références 
est intéressant.

Paul s’est déjà assis avec son père, un homme qui n’a pas été envoyé au pensionnat indien et qui a connu une époque où les Cris vivaient selon un mode de vie traditionnel, pour en parler. «C’est comme si nous avions maintenant la météo de quelqu’un d’autre», lui avait alors dit son père. Il m’a aussi parlé de la neige, cette neige tant détestée au Québec, mais qui est d’une grande importance. Elle agit comme une couverture, une protection pour tout ce qui se trouve en dessous. Sans elle, les ours gèleraient dans leur tanière et les bleuets ne pousseraient pas.

Je m’interroge aussi beaucoup sur ma communauté avant que l’orignal s’y installe, quand elle était une terre où le caribou y était encore abondant. Les regrettés demi-frères de mon père, Wally et Simoo, auraient vu les vieilles chasses au caribou, lorsqu’ils étaient enfants. Le Nord fut jadis un sanctuaire pour les animaux, alors que les «chemins de bois» et les routes continuaient de progresser vers celui-ci; alors c’est comme ça que l’orignal est arrivé chez nous. Paul me dit que son père en a tué un pour la première fois à l’âge de 15 ans, vers 1933. Plusieurs décennies plus tard, on en retrouve maintenant non loin de Whapmagoostui. Si les changements climatiques affectent les caribous, ils favorisent aussi la prolifération de la tique d’hiver qui est un réel danger pour les orignaux.

Ma grand-mère m’a dit qu’elle rêvait à des caribous, la semaine passée. Elle aura 90 bientôt et je ne peux m’empêcher de penser à tous les souvenirs qu’elle a d’une époque où le cycle des saisons était encore normal. La semaine passée, Dalila Awada signait une chronique sur les différentes réactions psychologiques liées à la crise écologique. Cette détresse, je la ressens. Dans ma communauté, ça 
se ressent aussi.

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