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La fin des terres

Fishing. Close-up shut of a fish hook under water Photo: Getty Images/iStockphoto

Il y a quelques années, ma famille et moi sommes allées sur la Côte-Nord, afin d’y pêcher le saumon atlantique. Nous avons eu une pourvoirie de pêche pendant 17 ans et c’est encore une activité à laquelle on s’adonne l’été. Nous avons acheté nos permis pour la rivière Sainte-Marguerite, pour finalement constater que le niveau de l’eau était incroyablement bas.

Devant nous, trois ou quatre saumons presque immobiles. L’eau est trop basse et trop chaude pour eux. Un agent de la Société des établissements de plein air du Québec (Sépaq) s’avance vers nous pour nous dire que ces saumons-là n’ont pas bougé depuis environ trois semaines. «Tu peux les toucher avec ta canne à pêche; ils ne bougeront pas.»

La réalité de ma communauté est très différente de la réalité de celle de Quentin Condo, Mi’gmaq de Gesgapegiag, en Gaspésie, et guide de pêche pour Micmac Camp, une pourvoirie où on remet les prises à l’eau.

«Le saumon, c’est pour nous ce que le caribou représente pour vous», me dit-il au téléphone, pour illustrer l’importance de ce poisson aussi fort que délicat. Il m’explique que la saison débute au début de juin et qu’auparavant, les deux premières semaines du mois étaient incertaines pour les pêcheurs, parce que la crue des eaux se produisait alors à ce moment-là.

Depuis sept, huit ans, la période de crue pour la rivière Cascapédia semble survenir plus tôt. «Ça n’affecte pas vraiment notre pêche, mais les étés sont plus longs et ça réchauffe les eaux. Ça entraîne la prolifération de certaines espèces comme le bar rayé.»

Même s’il a frôlé l’extinction, le bar rayé connaît une croissance fulgurante depuis quelques années, et il s’adapte très vite. Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec assure que les saumons juvéniles ne sont pas leurs principales proies, mais c’est quand même trop dangereux pour une population qui est déjà fragile et en déclin.

La Fédération québécoise pour le saumon atlantique abonde dans le même sens. Quentin me dit aussi que le réchauffement des eaux favorise la croissance de la population de homards, une proie pour les bars rayés et les phoques, deux espèces qui constituent une menace pour la région.

Comment ça se vit, les changements climatiques, dans un coin qui est différent de tout ce que je connais? Gesgapegiag se trouve sur la rive de la baie des Chaleurs, et les inondations sur les routes 132 et 299 sont apparemment de moins en moins gérables. «Ils vont devoir penser à déplacer les routes, parce que le niveau de l’eau n’est pas près de baisser.»

Je lui ai aussi demandé ce que les aînés de sa communauté pensaient de tout ça, car ceux de la mienne sont très conscients que le climat a changé. «Ils n’ont pas eu accès au territoire comme vous. Leurs souvenirs, c’est l’école et les agents des Affaires indiennes.»

La réappropriation de leur culture et la pérennité des activités traditionnelles passent donc par les nouvelles générations. Mais les changements dans l’écosystème de l’estuaire sont quand même flagrants.

«Les baleines meurent, les requins viennent maintenant près de la rive et notre toute petite population de caribous est en train de crever. Les gens devraient être pas mal plus alarmés qu’ils le sont.»

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