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Non, des vêtements vikings ne portent pas l’inscription «Allah»

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C’est sur toutes les lèvres et dans presque toutes les manchettes depuis quelques jours: des chercheurs suédois ont pu déchiffrer l’inscription «Allah» sur une tenue funéraire viking.

Après un peu de recherche et la lecture de la tirade d’une experte en archéologie médiévale islamique, il s’avère que la «découverte» rapportée par des centaines de médias (dont le New York Times et le National Geographic) est pas mal boiteuse, voire carrément erronée.

Résumé. Une étude menée par la chercheuse suédoise Annika Larsson affirme que des broderies trouvées sur des vêtements vikings seraient en fait de l’écriture coufique géométrique, un style de calligraphie arabe, qui symboliserait le terme «Allah». Cette découverte prouve donc que les Vikings étaient en contact avec la culture islamique et que leurs coutumes funéraires étaient influencées par la religion.

Plusieurs journalistes ont sauté sur la nouvelle (on s’entend qu’en ce moment, toute histoire qui mentionne l’islam est extrêmement «cliquable»). Personne n’a cru bon de demander l’avis d’autres spécialistes. Alors que la seule source citée est Mme Larsson, les auteurs n’hésitent pas à qualifier la découverte de «stupéfiante» et d’«historique».

Une semaine plus tard, Stephennie Mulder, professeure d’archéologie à l’Université du Texas à Austin, a publié une longue réponse sur Twitter. La spécialiste en arts islamiques n’a pas mâché ses mots. «La découverte de Larsson se base sur l’extrapolation, pas sur des preuves», a-t-elle écrit.

Et des preuves, l’Américaine en amène.

Premièrement, Mme Mulder rappelle que le vêtement étudié date du 10e siècle. Le type de calligraphie «décelé» sur le textile, le coufique géométrique, n’est apparu que 500 ans après.

Deuxièmement, elle note que l’inscription «Allah» n’est pas sur le morceau de tissu. En reconstruisant par ordinateur le motif du textile, Mme Larsson a imaginé une extension à certaines lettres pour «compléter» l’inscription «Allah» (extension que plusieurs experts jugent impossible, puisqu’elle doublerait la taille du morceau de vêtement). Et ces lettres, qui sont basées sur des interprétations et des «incertitudes», ce sont celles qui lui ont permis d’interpréter le terme «Allah».

Et même si le dessin était correct, il faudrait lire «Illah» et non «Allah». Ce qui ne veut rien dire. Selon l’experte américaine, il ne s’agirait donc pas d’une écriture quelconque.

Elle finit par soulever un point important: l’étude suédoise n’a pas été révisée par des pairs. Ce qui veut dire qu’aucun collègue scientifique n’a confirmé la méthodologie et les conclusions de la chercheuse. On va revenir là-dessus plus tard.

Interrogée par The Independent à propos des réfutations de l’archéologue américaine, Annika Larsson a offert des réponses vagues et non reliées aux critiques soulevées par Stephennie Mulder:

«Les découvertes datent sans aucun doute de l’Âge des Vikings. On les trouve dans plusieurs tombeaux de Birka [ville suédoise], ainsi que dans les bateaux funéraires vikings du nord du village de Gamla Uppsala. Le coufique géométrique se retrouve aussi dans des textiles similaires venant d’Espagne. Et même si les symboles s’interprétaient comme “Illah”, c’est quand même du coufique, et, selon les experts de l’arabe, le terme réfère aussi à Allah.»

Comme le fait remarquer un internaute, en plus d’être carrément hors-sujet, sa réponse n’amène aucune clarification des points les plus graves abordés par l’Américaine, soit:

  • Exagération et fabrication (extension des lettres, basée sur des suppositions) des symboles sur le vêtement, qui formeraient le terme «Illah»
  • Références aux mauvaises dates (ères)

Depuis la parution des réfutations de Stephennie Mulder, plusieurs médias ont modifié leurs articles pour laisser entendre que la découverte était présentement débattue. 

De l’importance de la révision par les pairs (ou: comment savoir si des conclusions scientifiques sont louches)

Pour être crédible, une étude scientifique doit être évaluée par d’autres experts. Si vous tombez sur une recherche que vous voulez partager, ou même que vous trouvez douteuse, la première chose à vérifier c’est si elle a été revues par des pairs (peer reviewed, en anglais).

D’autres facteurs comme la méthodologie, l’auteur, la portée de l’étude, les conclusions semblables tirées par d’autres recherches, jouent aussi un rôle essentiel. Mais c’est la première case à cocher pour évaluer la rigueur des études scientifiques.

Quelques pistes pour reconnaître une étude qui répond à ce critère:

  • Si vous cherchez un texte dans un moteur de recherche académique, vous pouvez généralement limiter vos recherches aux articles révisés par les pairs seulement;
  • Les journaux scientifiques indiquent souvent dans les premières lignes de leur section «À propos» s’ils ne publient exclusivement que des études évaluées par les pairs.

Pour vous donner une idée, toutes les revues scientifiques qui se respectent n’acceptent pas de publier des recherches qui n’ont pas été révisées par d’autres experts.

Les médias généralistes devraient en faire autant.

Diagnostic:

Attention: il ne s’agit pas d’une «fausse nouvelle». C’est plutôt une information erronée tirée d’une étude boiteuse.

Soyez vigilants!


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