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Les mythes de l’immigration: qu’en est-il dix ans plus tard?

Le 12 mai 2008, le journal Métro publiait un article de Marie-Ève Shaffer intitulé «Les six mythes de l’immigration». Dix ans plus tard, on peut se demander si les choses ont un peu changé. Sans sondage de base avec lequel confronter de nouvelles données, il n’est pas possible de répondre de façon quantitative à cette question. On peut tout au plus oser quelques impressions.

Premier mythe: «c’est facile d’immigrer»
Il y a deux facettes à cette affirmation. La première réfère au fait qu’il serait facile de quitter son pays. Il me semble que ce genre d’affirmation n’est plus très présente aujourd’hui, la plupart des gens reconnaissant que l’émigration et l’immigration constituent des expériences déchirantes, sans aller jusqu’à dire qu’elles tournent au cauchemar (comme l’affirme une des personnes interviewées dans l’article cité). La deuxième facette, qui n’est pas vraiment abordée dans l’article de Mme Shaffer, porte plutôt sur la perception qu’il serait trop facile d’immigrer au Canada à cause d’une politique d’immigration trop ouverte, voire trop laxiste.

Dans le sondage commandité par le Bureau d’intégration des nouveaux arrivants à Montréal (BINAM, 2017), 72% des répondants disent avoir entendu cette affirmation au cours de la dernière année. Pourtant, la réalité est toute autre, car la politique d’immigration canadienne est extrêmement sélective et le processus d’admission est très long. Par exemple, depuis le début de la nouvelle procédure de sélection des travailleurs qualifiés, que l’on appelle «entrée express», seulement 2 à 3% des candidats ayant soumis une demande sont «invités» à devenir résidents permanents. S’il est aussi difficile d’entrer au Canada quand on est qualifié, imaginez le sort des moins qualifiés.  Il est donc faux de dire qu’il est facile d’immigrer au Canada.

Deuxième mythe: «les immigrants volent nos jobs»
Ce mythe est encore présent aujourd’hui même si les études scientifiques disent le contraire (comme je l’ai expliqué dans mon blogue du 3 avril). Mais, si l’on se fie au sondage mentionné ci-haut, seulement 48% des personnes interrogées disent avoir entendu cette affirmation au cours de la dernière année. On peut penser que ce mythe est un peu moins répandu aujourd’hui. Se peut-il que les nombreuses études scientifiques démontrant que les immigrants ne prennent pas les emplois des natifs ont eu un impact auprès de certaines personnes?

Troisième mythe: «les immigrants sont incapables de s’intégrer dans leur société d’accueil»
Dans le même sondage, il n’y a pas de question directe sur ce sujet. Mais selon une affirmation qui lui est apparentée, 43% des personnes disent avoir entendu, au cours de la dernière année, l’affirmation suivante: «les différences de mode de vie rendent presque impossible l’intégration des immigrants». Le mythe perdure donc même s’il s’agit d’une minorité. Les recherches scientifiques qui ont suivi le parcours des immigrants montrent qu’avec le temps, les immigrants s’intègrent bien dans la société. Cela a d’ailleurs donné lieu à un titre de rapport fort révélateur Ils sont maintenant d’ici (voir l’étude de Jean Renaud et son équipe). Nos propres travaux ont montré des résultats semblables en ce qui concerne l’intégration économique.

Quatrième mythe: «les immigrants restent immigrants à vie»
Sur le plan purement statistique, il est vrai que l’immigrant reste immigrant toute sa vie, car il est catégorisé dans les recensements à partir de son lieu de naissance (qui ne change pas avec le temps). Par contre, d’un point de vue social et politique, la plupart des immigrants deviennent citoyens canadiens: de façon générale, c’est à 90% que les immigrants arrivés avant les années 2000 ont obtenu la citoyenneté. Récemment, le taux de naturalisation a diminué à 86% en 2011 et 83% en 2016. Cette diminution est due essentiellement à la réforme du gouvernement conservateur pour rendre plus difficile l’accès à la citoyenneté. Le 19 juin 2017, le gouvernement libéral a fait adopter une loi pour annuler une bonne partie de la réforme antérieure.  Il est encore trop tôt pour voir l’impact de cette loi, mais on peut présumer que les taux de naturalisation vont de nouveau se rapprocher de 90%.

Cinquième mythe: «on les reçoit, c’est bien assez»
Une version plus récente de ce mythe est «on leur en donne trop». D’abord, soyons clairs: on ne fait pas que les recevoir, on les «recrute». Il est donc normal – politiquement – que la société investisse dans des programmes pour faciliter l’intégration des immigrants.

Sixième mythe: «le Québec est raciste»
Aujourd’hui, c’est plutôt le contraire que l’on entend, à savoir que le Québec n’est pas raciste. D’une certaine façon, cela est vrai: s’il y a des personnes racistes au Québec, cela ne fait pas du Québec une société raciste. Selon un sondage récent de Léger (février 2018), à la question «Dites-vous que vous êtes racistes on non», 14% (au Canada) et 16% (au Québec) ont répondu qu’ils étaient «plutôt racistes» ou «un peu racistes». Même si ces questions demeurent critiquables, on est loin d’une société raciste, du moins selon la perception qu’ont d’eux-mêmes les répondants. Mais de là à nier qu’il existe du racisme même systémique au Québec, il y une marge à ne pas franchir. Plusieurs recherches ont démontré que la discrimination sur la base de l’origine nationale est bien présente au Québec (voir mon blogue du 3 octobre).

Bref, il reste encore du travail pour déboulonner les mythes.

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