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Lettre à l’auditeur de radio privée de Québec

Photo: La Presse Canadienne

Cher auditeur averti,

Tu trouves peut-être que mes collègues de la clique du Mile End et moi cassons souvent du sucre sur ton dos. Par contre, hier, auditeur, c’était toi le grand privilégié du paysage radiophonique puisque c’est à toi que le Premier Ministre du Canada s’est adressé. C’est un grand privilège, parce que ce n’est pas souvent, que Stephen Harper s’adresse aux Québécois et hier, c’est à toi précisément qu’il avait choisi de glisser des mots doux.

Toi et la bobo du Plateau* que je suis n’avons certainement pas retenu le même message. Là où moi j’ai entendu la confirmation des motifs idéologiques derrière les coupures à Radio-Canada, toi, tu as peut-être obtenu la confirmation de tout ce que tu penses du diffuseur public : que c’est déconnecté du vrai monde comme toi et que c’est du gros gaspillage de nos taxes. Stephen a même mis des mots sur ce malaise que tu n’arrivais pas à identifier avec précision jusque là: Radio-Canada est contre les valeurs conservatrices.

Peut-être que tu ne t’étais vraiment jamais identifié comme un conservateur avant ça, mais à entendre le Premier Ministre, tu t’es dit : «Pour les baisses d’impôts, pour la loi et l’ordre, contre les djihadistes, c’est bien moi, ça». Et bang, tu t’es dis que si c’est ça être conservateur, alors Stephen pouvait compter sur ton vote aux prochaines élections. Fou de même, malgré tout ce que tu as toujours pensé contre les conservateurs parce qu’au Québec, c’est pas vraiment populaire de prendre pour eux, tu t’es senti conforté dans ton désir qu’on parle des vrais affaires. Tu as même ressenti la petite euphorie qui vient avec le sentiment d’aller à contrecourant, de prendre des décisions selon tes valeurs et non en fonction d’une espèce de consensus qui te pue au nez. Tu t’es senti libre et autonome.

Après tout, toi non plus, tu ne t’identifies pas comme un «gauchiste». Les carrés rouges, les écolos qui stoppent le développement économique du Québec, les grévistes qui empêchent les gens de prendre leur train le matin, t’es contre ça. Pis c’est pas la gang d’artistes – des BS de luxe – qui se réunissent pour défendre Radio-Canada qui vont te convaincre du contraire. Qu’est-ce qu’ils connaissent à ta réalité, eux qui vivent dans un château de Westmount, de Boucherville ou de Kamouraska?

J’alimente peu d’espoir à l’idée de te convaincre qu’être progressiste, c’est mieux. Toi et moi on pense juste pas pareil. Mais j’aimerais attirer ton attention sur quelques détails.

Les valeurs conservatrices, c’est aussi une gang de députés qui, une fois de temps en temps, remettent en question l’accès des femmes à l’avortement. C’est toujours plus de coupures en sciences, parce que la science, c’est rabat-joie. C’est un accès limité des journalistes aux élus en dépit du fait qu’ils soient encore, aux dernières nouvelles, redevables. C’est de l’argent en veux-tu en v’la pour célébrer la reine et l’armée, mais pas grand chose pour honorer la culture Québécoise qui, quoique tu en penses, est probablement le ciment le plus fort de l’identité québécoise. C’est plein d’autres affaires que j’haïs et que même toi tu n’aimes pas. La liste est longue. À part de ça, baisser les impôts, renforcir les mesures de sécurité et lutter contre les djihadiste, ce ne sont pas des solutions magiques. Peut-être que tu t’en fous qu’il y ait plus de mesures de sécurité parce que toi, ça te regarde pas, t’es pas un pédophile, un tueur d’enfants qui essaie de se faire passer pour un fou ou un terroriste, mais le jour où ce sont tes libertés et ta vie privée qui seront atteintes, tu trouveras ça moins fin. Et si on paye moins d’impôts, on a forcément moins de services. Peut-être que tu penses que ça ne te regarde pas ça non plus parce que t’as les moyens de te payer une semaine de vacances à Cancun, mais si tu veux payer moins cher de prisons ou si tu veux voir moins de pouilleux quêter devant ta SAQ, faut peut-être que tu acceptes qu’on investisse un peu plus en services sociaux.

Mais surtout, auditeur aguerri, j’aimerais que tu reconnaisses qu’on est en année électorale et que c’est précisément pour aller chercher ton vote que Stephen Harper s’est découvert une affinité avec les radios de ta région. Parce que ses conseillers lui ont rappelé qu’aux dernières élections, une gang de gauchistes avait balayé le Québec et que ses meilleurs espoirs demeuraient dans la région de la capitale. Sûrement en raison de sa grande concentration de radios d’opinions populistes. Je t’inviterais à ne pas céder aussi facilement à cette amitié soudaine.

* Résidant précisément entre le Mile End et le Plateau Mont-Royal, je revendique sans gêne les deux étiquettes, autant sur le plan géographique qu’idéologique, pour ce que ça veut dire.

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