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Satané Hip-hop

Pour conserver son permis d’alcool et demeurer ouvert, le bar Muzique s’est engagé devant la Régie des alcools à ne plus diffuser de hip-hop. Vous avez bien lu, et non, vous n’êtes pas en 1954, époque où on disait qu’écouter Elvis donnait des maladies vénériennes. Nous sommes en 2016, et un organe de contrôle de l’État associe un style musical à la criminalité. Cette décision a été prise à la suite d’une tentative de meurtre devant l’établissement.

Membre du barreau interpellé par les questions raciales, Fabrice Vil y voit un cas flagrant de discrimination. «L’État tire une inférence négative d’une association qui ne devrait pas exister entre le crime et le hip-hop», dit-il. «Peu importe qu’on légifère sur la musique rock, la moto ou le ska, on tente de contrôler la population à l’aide d’un facteur qui n’a pas rapport», dit-il. Et interdire le hip-hop n’est pas si neutre. «Le régisseur ne s’est sûrement pas dit “On veut exclure les Noirs du bar”, mais dans les faits, c’est ce que ça donne. On associe le hip-hop aux Noirs. Tant qu’à ça, prenons un autre élément neutre : les hommes noirs entre 20 et 40 ans!» ironise-t-il.

Ne soyons pas dupes. Le bar Muzique fait face à un véritable problème de criminalité. Les membres de groupes criminels semblent en avoir fait leur quartier général, à en croire les récits des policiers. Mais un grand nombre d’établissements diffusent de la musique hip-hop sans attirer de criminels. En fait de musique actuelle, le hip-hop est à peu près dans tout sauf la Bottine souriante, et encore. Lundi dernier, Irdens Exantus rappait avec Mario Tessier et Jean-François Breau sur le plateau des Échangistes, pour vous dire comment c’est mainstream. Seules les autorités semblent voir un lien direct entre la criminalité et ce style musical issu de la culture afro-américaine.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle discrimination frappe le hip-hop. En 2012, un bar de Pointe-Claire a dû s’engager à ne pas produire de spectacles rap pour obtenir son permis d’alcool, dans une forme d’inquisition des plus arbitraires de la part de la Régie. Le Québec semble être la seule province à réguler les débits de boisson en fonction de leur programmation musicale.

En l’absence d’un hip-hop-o-mètre, il y a aussi lieu de se questionner sur l’applicabilité du règlement : est-ce du rap, est-ce du reggaeton, du R’n’B, est-ce que ça compte? On imagine difficilement un juge déterminer le degré de hip-hop contenu dans le dernier single de Rihana. Et est-ce vraiment nécessaire de stigmatiser encore davantage une culture qui est tout sauf monolithique? Le bar Muzique s’est engagé à se munir d’un dispositif de profilage de criminels. Cela ne devrait-il pas régler la question? Pourquoi étendre ce profilage à ceux qui veulent écouter Kendrick, Biggie et Nicki Minaj en paix?

«Au-delà du fait qu’on criminalise un élément qui n’a pas rapport avec la criminalité, il reste que le hip-hop a émergé de la culture noire nord-américaine», souligne Fabrice Vil. Alors qu’un collectif revendique la tenue d’une commission sur le racisme systémique pour documenter le profilage racial, les barrières à l’emploi et les problèmes de sécurité physique qui pèsent sur les personnes racisées, cette inquisition culturelle semble être une autre preuve de la nécessité de cette commission.

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