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Pertes de mémoire (2)

From the 1970s and 80s a collection of old Betamax video tapes used to record off-air tv programmes Photo: Getty Images/iStockphoto

Ma chronique de la semaine dernière, celle qui portait sur la destruction de la Maison Boileau de Chambly et sur la «disparition» de l’enseigne lumineuse d’Archambault Musique, a suscité auprès de vous une certaine indignation, pour ne pas dire une indignation certaine. La conservation de notre patrimoine vous touche et il y a franchement de quoi s’en réjouir. Quand le paysage se vide de ce que nous sommes et de ce que nous avons été, il y a effectivement de quoi s’inquiéter. Un peuple qui ne laisse pas de traces est un peuple qui, aux yeux de l’histoire avec un grand H, aura été insignifiant.

Dans le même ordre d’idées, je continue à m’inquiéter de ce qu’il restera de notre histoire récente. Celle qui pourrait même ne jamais faire partie de la moindre collection à cause de notre propension à bazarder ce qu’on tient trop aisément pour acquis. C’est l’équivalent de ces disques durs qui s’effacent sans avertissement et qui ne remplaceront jamais les boîtes à portraits de nos grand-mères.

Le manque d’intérêt qu’on a pour la sauvegarde de notre culture populaire fait dur. Juste à voir comment nos archives télé sont dégarnies. On a tellement le nez collé sur ce qui se passe qu’on a tendance à oublier que tout cela pourrait éventuellement avoir une quelconque pertinence. Regardez combien la voûte à images de Radio-Canada est pleine de trous. Quant à TVA, digne héritière de Télé-Métropole, mieux vaut ne pas en parler, on aurait de la misère à remplir le tiroir d’un classeur avec les images qui furent conservées de 1961 à 1991. On ne s’attardera pas davantage aux autres réseaux, de TQS à V, l’arrêt n’en vaut même pas la peine.

À la radio, la situation n’est guère plus brillante. Essayez de trouver des extraits sonores d’émissions diffusées jadis à CKAC, à CJMS ou à CKVL. On vous souhaite bonne chance, tout cela semble avoir été balayé par le vent au fil du temps. Manque d’espace et de ressources pour s’en occuper dignement, semble-t-il. Alors, aussi bien mettre tout ça à la poubelle. Oui, je sais, ça n’a pas beaucoup de sens, mais c’est la raison qu’on nous donne quand on pose la question…

Et le cinéma dans tout ça? Je suis littéralement tombé sur le cul récemment quand j’ai appris que le film d’Yves Simoneau Pourquoi l’étrange monsieur Zolock s’intéressait-il tant à la bande dessinée? avait longtemps été considéré comme perdu à tout jamais parce qu’on était incapable d’en retracer le moindre exemplaire. On parle ici d’un film de 1983! Pas d’un bout d’essai remontant à l’ère du cinéma muet! Il est ici question d’un film sorti en salle au Québec il y a à peine 35 ans, ce qui équivaut à un éternuement dans l’histoire de l’humanité. On a finalement retrouvé un exemplaire du film – charcuté par-dessus le marché – après deux ou trois années de recherche dans tout le pays. Cette histoire s’ajoute à celle de notre bouillonnante cinématographie québécoise de la fin des années 1960 et du début des années 1970, dont plusieurs productions manquent encore à l’appel de nos jours. Ce ne sont pas des bouts de pellicule qui sont disparus. Ce sont des morceaux de nous.

Pendant qu’une maison passe au bulldozer et qu’une enseigne de la grande ville quitte ses ancrages, autour de nous, des sons et des images s’effacent à tout jamais sans trop qu’on s’en rende compte. Petit peuple, quand même.

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Vu: la reprise du spectacle Camillien Houde «le p’tit gars de Sainte-Marie», une pièce écrite par Alexis Martin. Du théâtre à la fois divertissant et instructif. J’ai beaucoup aimé. On dit bravo à Pierre Lebeau et  àJosée Deschênes pour leur excellent travail dans les rôles du maire et de sa dame. Et on salue l’idée de mettre en scène une vingtaine de citoyens du quartier Centre-Sud dans des rôles secondaires, une proposition qui s’avère fort rafraîchissante dans ce contexte.

Alexis Martin a le don de transposer sur scène des fragments de notre histoire. À cet égard, son apport à notre dramaturgie est inestimable. Moi, qui vous suggère souvent de sortir un aîné au théâtre, je vous invite ce coup-ci à offrir à un plus jeune cette occasion d’en savoir un peu plus sur ce Montréal d’hier qu’on est en train de jeter avec le bébé et l’eau du bain. C’est en supplémentaires à l’Espace Libre de la rue Fullum jusqu’au 19 décembre.

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Quand il a prononcé son discours inaugural la semaine dernière à l’Assemblée nationale, François Legault a promis un redressement national en éducation. Juste de l’entendre, ça a fait du bien.

Mais, quand la lune de miel et le temps des premières amours du pouvoir seront chose du passé, le nouveau premier ministre devra réaliser cet engagement on ne peut plus clair. Quand je parle aux profs et aux intervenants du milieu qui gravitent autour de moi, on me confirme qu’on part de très loin pour remettre en marche cette grosse machine toute déglinguée. On restera aux aguets, ça serait trop cruel de constater éventuellement qu’on a promis de faire maison rase en ne sachant pas trop dans quoi on s’embarquait. L’enjeu est capital.

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