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La frontière, au quotidien

Frontière
Andréanne Bissonnette - Métro

Depuis plusieurs années, j’ai l’impression que la frontière mexicaine-étatsunienne fait partie de mon quotidien. Ce lieu de rencontre entre deux territoires, où s’articule une culture propre, mélangeant anglais et espagnol, tacos et barbecue, habite mes recherches, m’intrigue, m’inspire. De San Diego en Californie à Brownsville au Texas, j’ai parcouru près de la moitié de cette ligne de démarcation en voiture, notant des différences et des similitudes entre les villes qui la ponctuent. Mais ce n’était que cela: une impression. En effet, malgré l’omniprésence de la frontière dans mes recherches, mes lectures et mes écrits, le quotidien est beaucoup plus complexe.

Depuis le début de septembre, je suis installée à El Paso au Texas, là où la frontière terrestre laisse place au Rio Grande et à la frontière riveraine, là où le mur crée une division artificielle entre El Paso et Ciudad Juárez, villes sœurs partageant une économie, une culture, une langue – et même des structures éducationnelles, médicales et sociales. L’intégration binationale des deux villes, séparées par un jet de pierre, est un fait et non une abstraction.

Vivre la frontière dans le quotidien, c’est à la fois beau et déstabilisant. Malgré les défis et les attaques, El Paso est une communauté d’entraide, de respect et d’ouverture. Non pas résiliente: c’est une ville qui résiste, répondant à l’horreur par le beau, à la division par la solidarité. Il y a une richesse à vivre à la frontière, mais il y a aussi des défis, dont les enjeux migratoires. La semaine dernière, la Cour suprême a autorisé la mise en œuvre d’une politique de l’administration Trump qui interdit le dépôt d’une demande d’asile par un.e migrant.e qui n’a pas, au préalable, été refusé.e pour une telle demande dans les pays par lesquels il-elle a transité.

«Vivre la frontière dans le quotidien, c’est à la fois beau et déstabilisant. Malgré les défis et les attaques, El Paso est une communauté d’entraide, de respect
et d’ouverture.»

En pratique, cela signifie que les migrant.e.s qui attendent de l’autre côté de la frontière, à Juárez, et partout le long de la frontière, depuis plus de trois mois, ne pourront pas déposer leur demande d’asile. Cette nouvelle a été accueillie avec beaucoup d’angoisse et de questionnements dans cette communauté transfrontalière. Parce qu’ici, la proximité de Juárez rend impossible d’ignorer ce que cette décision signifie en matière de sécurité. Les violences liées au trafic de stupéfiants et les violences de genre sont de retour en force après une accalmie, il y a deux ans, qui n’est plus qu’un distant souvenir. Faire une demande d’asile au Mexique signifie donc renouer avec les mêmes insécurités qui ont poussé tant de gens à la migration, voire être forcé à affronter de nouvelles insécurités, le tout en étant si près d’un espoir de sécurité aux États-Unis.

Que vous soyez nouvellement résidant de la zone frontalière où que ce soit votre lieu de naissance, impossible d’oublier la frontière. Elle est visible lorsque, en rentrant chez moi par l’Interstate 10, je longe le mur. Elle est audible lorsque, en allumant la radio, je passe d’un poste mexicain à un poste étatsunien. Mais elle demeure étrangère pour une communauté qui pose des gestes au quotidien afin de dénoncer les violences – directes et indirectes, envers les habitants de longue date et ceux récemment arrivés – et de réitérer qu’ici, à El Paso, les différences rendent plus fort.

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