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Les anti-masques et l’étoile jaune

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Alexandre Huard - Collaboration spéciale

«Le masque est l’étoile jaune des non-vaccinés» pouvait-on lire sur une pancarte brandie à Berlin dans un rassemblement «anticorona». Sur une autre à Londres: «Le masque est une muselière.» Certains vont même jusqu’à comparer la pandémie de COVID-19 à un «nouvel Holocauste» orchestré par le gouvernement. Dans la foulée des manifestations contre le port obligatoire du masque qui récemment se multiplient dans les pays occidentaux, nous assistons parmi une partie de la population à la montée d’une victimisation idéologique qui, en versant parfois dans la martyromanie, profite dangereusement à l’extrême-droite.

Chez les anti-masques, qui bien souvent carburent aux théories conspirationnistes, les humeurs personnelles ont préséance sur l’expertise scientifique. Pour bon nombre d’entre eux, la pandémie est un coup monté. Cette logique de déni repose sur une rhétorique négationniste qui procède d’un croisement d’informations véridiques souvent décontextualisées et d’informations erronées où s’enchevêtrent le vrai et le faux. Tout comme pour les procédés propagandistes, la charge affective des contenus mobilisés l’emporte ici sur le poids objectif des faits énoncés. En dénonçant sans preuve tangible à l’appui les mesures sanitaires comme autant de manœuvres dictatoriales qui trahiraient, suivant certaines thématiques en vogue, l’existence d’un vaste complot médical destiné à assujettir les populations à un micropuçage sous-cutané au moyen de vaccinations forcées dans le but ultime de les asservir, les anti-masques succombent à ce que certains chercheurs désignent sous l’appellation de «paranoïa non-clinique».

La croyance à un état d’urgence imaginaire, qui alimente le combat des opposants à la «dictature sanitaire» pour la sauvegarde de la liberté dont ils seraient les derniers représentants, s’articule généralement autour du thème – récurrent à l’extrême-droite – du «peuple en danger» qu’il faudrait protéger d’une «menace globale». À cet égard, il n’est pas étonnant de voir dans ce contexte de pandémie des groupuscules néo-nazis prêter main-forte aux contingents anti-masques qui partagent la même aversion envers les «impostures» perpétrées par la classe politique, la profession journalistique et la communauté scientifique et universitaire. D’un côté comme de l’autre, la mission est souvent la même: exposer au grand jour les «mensonges» colportés par l’élite intellectuelle et purger la nation de ses «traîtres» pour mieux la mettre à l’abri d’un «péril mondial» que représente tantôt l’immigration massive ou le «grand remplacement», tantôt le complot islamiste international, tantôt la grande conspiration diabolique, cette dernière étant une variante ésotérique du même thème. De sorte qu’il est aisé de comprendre comment opère dans ce schéma victimaire la notion de «grand réveil» de la nation, promue entre autres par les adeptes de Q-Anon et dans bien des cas par des sympathisants d’extrême-droite.

Les affinités idéologiques qui rapprochent ainsi les deux camps se cristallisent dans ce que le sociologue Mark Davis appelle un «discours anti-public» qui a pour effet, d’une part, de pervertir les normes du débat démocratique et, d’autre part, de légitimer le recours à l’action radicale qui, dans le pire des scénarios, est susceptible de déboucher sur la violence. En témoignent les nombreux citoyens, employés ou autres qui ont été agressés verbalement ou physiquement par des individus obstinément réfractaires aux mesures sanitaires. À proprement parler, en exploitant le registre de la persécution, les anti-masques tout comme leurs alliés «coronasceptiques» à l’extrême-droite lance un appel pugnace aux émotions qui court-circuite toute analyse rationnelle et qui accentue, pour quiconque ne croit pas au virus et se considère comme le «bouc-émissaire» potentiel d’une conspiration maléfique, la nécessité de se «défendre» et de punir les «coupables». Les menaces de mort proférées récemment à l’endroit du premier ministre François Legault sur les réseaux sociaux en fournissent un exemple alarmant.

Alexandre Huard

Détenteur d’une maîtrise en sociologie de l’Université de Montréal

Montréal

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