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À défaut de ressources, on médicamente mon fils

Photo: Archives
Danielle Gaudet - Collaboration spéciale

Cette semaine, j’ai dû choisir entre augmenter la médication de mon fils ou le déplacer vers une autre résidence. Je suis écœurée et ça me déchire le cœur d’avoir à faire ce choix-là. Oui, mon fils a eu une crise de comportement dimanche dernier mais il a eu une seule crise. Je trouve que les conséquences sont graves pour juste une seule crise. Yanick est né avec une déficience intellectuelle moyenne. C’était difficile mais Il a beaucoup évolué depuis toutes ces années. Il a maintenant 46 ans et habite dans la même ressource intermédiaire depuis 12 ans, il s’y sent bien, il connaît du monde. Je n’ai pas le cœur de le faire changer toutes ces habitudes et de le désorganiser. Ce serait pire. Mais est-ce la seule solution possible, le faire devenir un légume?

À cause de la déficience intellectuelle, Yanick ne s’exprime pas comme les autres. Il ne peut adresser aucune de ses souffrances avec des mots simples. Si seulement une évaluation adéquate sur sa qualité était faite, son nouveau médecin, qui ne l’a vu qu’une fois, pourrait se rendre compte de ce qui ne va pas : Yanick me réclame son travail tout le temps. Il l’a perdu quand la première vague de la pandémie est arrivée. Je ne suis pas sûre de savoir si c’est ça qui a provoqué cette crise de comportement. Ce dont je suis sûre, c’est que mon fils aimait ce qu’il faisait à l’atelier géré par le CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal et que ces longs mois de solitude sans activités possibles ne lui ont pas fait du bien, comme toutes les personnes dont le confinement prolongé a été obligatoire. Il était occupé toute la semaine et maintenant, il n’a plus droit qu’à deux demi-journées par semaine d’activités à La Gang à Rambrou*. Je me fiche qu’on me dise que son travail à l’atelier, ce n’est pas un vrai travail. Pour lui, c’est valorisant, c’est ce qu’il aime faire, il est content. Mais apparemment, il ne « cote » pas assez pour retourner travailler, d’après « la grille ». J’ai demandé à la voir cette grille et cette évaluation mais on me répond que ce sont juste des observations verbales, que les gens qui retournent faire des activités sont ceux qui posent problème. Mon fils a posé problème juste une fois, une seule crise. Cette crise lui vaut de « coter » suffisamment pour se retrouver médicamenté ou expulsé de sa ressource, selon la direction de la ressource où il vit, mais pas pour reprendre son travail, selon les critères du CIUSSS.

Je me sens très en colère contre ce système qui décide d’augmenter la médication de Yanick plutôt que de répondre à son besoin de base qui est de retrouver son travail à l’atelier. Le bien-être de mon fils n’est absolument pas pris en compte, il est abandonné par un système qui a pris une décision arbitraire. Où est-elle cette autodétermination pour les personnes qui ont un handicap dont on nous dit tant de bienfaits? Quel intervenant est à son écoute?

Le CIUSSS a pris le prétexte de la pandémie pour faire le tri entre les gens. Il a priorisé les personnes vivant dans leurs familles et les listes d’attente. Et mon fils alors? Parce qu’il est hébergé dans une résidence, il n’a que le droit de regarder les murs? En plus, passé 45 ans, Yanick n’est plus prioritaire, il est trop âgé pour avoir des activités. On le met au rebut, il doit prendre sa retraite. Et il va donc la prendre en devenant un légume sous médicament toute la journée. Pourquoi? Pour qu’il se tienne tranquille et ne puisse plus exprimer ce qu’il souhaite le plus : aller au travail. Pendant ce temps-là, sa sœur Marie-Josée qui vit chez moi et qui a aussi une déficience intellectuelle peut reprendre ses activités 5 jours par semaine à La Gang à Rambrou. Dois-je donc mentir à mon fils quand il m’appelle et que je suis partie déposer sa sœur, pendant que lui reste enfermé dans sa résidence?

Je sais qu’il y a beaucoup de parents qui ont peur de se plaindre. Moi, je n’ai pas peur. J’ai déposé une plainte au commissaire aux plaintes mais je sais que c’est une instance du CIUSSS. Je connais la réponse d’avance, je n’ai pas confiance. Après ça, je pourrais contacter le protecteur du citoyen. Je ne souhaite qu’une chose, c’est qu’il obtienne ce qu’il souhaite tant : retourner au travail à l’atelier. Pour les médicaments, idéalement, je ne voudrais pas de surplus mais je ne veux pas qu’on le change de place. À cause de la crise de Yanick, la résidence a peur de perdre son employé de fin de semaine et tout le monde sait que les personnes qui travaillent dans ce type de structures sont très peu payées et ne sont pas formées. Alors, je préfère choisir la médication plutôt que la porte…

Le confinement systémique est aussi dommageable que la discrimination systémique.

*Organisme communautaire montréalais qui offre des activités aux personnes qui ont un handicap

Danielle Gaudet, mère de Yanick et Marie-Josée vivant tous les deux avec une déficience intellectuelle

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