Soutenez

«Plus grande est l’attente, aussi profonde sera la déception»

Photo: Archives
Une demandeuse d’asile - Collaboration spéciale

Je me souviens encore de ces discussions très intéressantes et animées de mes collègues durant ma pause…et un jour il en était d’un virus qui faisait rage en Chine. On compatissait avec les victimes, on discutait des symptômes, des risques de contagion. C’était quasi-incroyable pour nous de comprendre le fonctionnement de ce virus qui contamine plein de gens en une brève période. Bref ! On en jasait pas mal. Mais jamais on ne pensait qu’il traverserait le Pacifique pour s’inviter chez nous. En moins de deux semaines en mi-mars le virus s’était déjà propagé, presque tout était fermé.

Depuis bientôt 2 ans je travaille comme préposé au service alimentaire dans plusieurs CHSLD (Centre d’hébergement et de soins de longue durée). Un jour je suis rentrée au travail et c’était la panique. Des employés et des résidents étaient infectés, le virus battait le plein. Il y avait des préposés qui arrivaient même a pleurer dans les zones chaudes, on les exigeait d’y aller. Une peur apocalyptique régnait dans les CHSLD.
Beaucoup d’employés majoritairement âgés et/ou ayant la santé fragile se font délivrer des papiers de leur médecin pour des congés maladie. D’autres ne rentraient juste pas par peur d’attraper le virus pour éviter de le transmettre à leurs parents et leurs enfants.

J’avais l’impression que tout se vidait autour de moi, je rêvais les yeux ouverts avec l’impression d’être dans un film de zombie. Partout il n’y avait que les nouvelles de nouveaux cas recensés, de nouveaux décès…dans nos CHSLD. Les absences augmentaient, la tâche devenait plus rude et vaste. Travailler dans plusieurs centres en pleine pandémie était très risqué et très stressant pour moi. Je me faisais appeler par ci par là pour dépanner, pour remplacer un absent.

C’était encore plus dur pour moi et mes collègues de voir le virus s’en prendre à des résidents à qui on servait la soupe chaque midi, avec qui on avait une routine, des personnes avec de grands cœurs, avec une histoire, un vécu, des personnes sans défense mais dont le sourire et la gentillesse sont assez immense pour illuminer toute notre journée.

Notre grand défi : continuer à nourrir nos résidents malades et les employés exténués, nettoyer de la vaisselle dont les patients du COVID-19 avaient utilisé, préparer et ramener les plateaux de chaque résident, c’était très risqué. Mais on ne pouvait pas lâcher, si les préposés au bénéficiaire, les agents en entretien ménager et autres étaient tous là pour soutenir nos résidents, nous on était obligés d’être là pour ne pas rompre la chaîne. Et c’est grâce à cette chaine qu’on allait vaincre cette première vague.

Un jour en rentrant au travail, j’ai appris qu’un collègue ami avait attrapé la COVID-19. Je me suis senti déstabilisée, je me cachais pour pleurer, les nouvelles à la radio m’enfonçaient. Je me retrouvais souvent toute seule à marcher dans la rue, si quelqu’un venait en face de moi, il change rapidement de voie, pour éviter de me croiser. C’était la loi du virus.

Ma mère (qui ne vit pas au canada) à la santé fragile, m’appelait sans cesse pour prendre de mes nouvelles. Je ne pouvais lui dire ce que je traversais réellement. Je ne voulais pas la stresser déjà que les soins médicaux étaient inaccessibles. Je gardais tout pour moi. Pleurer était ma méthode desintox. Une fois dans mon petit studio, je pleurais ma vie sous la douche, je demandais de la force a Dieu dans mes prières, je me souviens encore de cette phrase : « si je dois mourir de la COVID-19 ce sera en prenant soin des autres, ce n’est pas vain ». Je n’ai pas d’enfant, juste une célibataire qui vit toute seule, ça ne doit pas être si pire et ma mère s’en remettra… (Ça fait quand même 3 ans depuis qu’elle ne m’a pas vue). Passer au travers de cette pandémie a été pour moi un très mauvais rêve dont je voulais me réveiller à tout prix. Au travail, les contacts entre employés devraient être tres limités, chacun prenait ses pauses dans son coin à lui. Apres mes longs shifts, je me retrouvais seule dans mon appartement sans ma famille, sans personne. J’avais vraiment connu une rude épreuve par rapport à ma sante mentale. Je ne ressentais plus aucun intérêt. Je communiquais peu. Je répondais pas à mes appels. J’étais comme une machine qui s’exécutait. Aller au travail, faire la job, rentrer chez moi, sauter mes repas, m’enrouler dans le sofa jusqu’à ce que je dorme ainsi de suite.

J’ai commencé a me reprendre en main après voir entendu une publicité du gouvernement du Québec (comme quoi il ne fallait pas tout garder en dedans) et oui, cette pub m’a fait sentir que j’étais loin d’être la seule personne a devoir surmonter cette épreuve, alors j’ai commencé à mieux accepter les défis de mon quotidien, à mieux m’alimenter, sortir prendre de l’air…J’ai compris que je devrais prendre soi de moi si je voulais être de ceux qui combattaient ce maudit virus au front. Et Je commençais évidemment à aller mieux, sans oublier les mots d’encouragements de Mr Legault aux anges gardiens, aux travailleurs de la sante, aux travailleurs essentiels du Québec. Pour la première fois, je me suis identifiée à ce mot : QUEBECOIS. Ce mot signifiait tous ceux qui vivent au Québec et point barre. Avec ou sans statut, être ne au Québec ou pas, parler français ou pas…ce mot désignait toute une communauté dans toute sa diversité et sans distinction, l’apport de chacun était apprécié, passant par le biologiste en laboratoire, au médecin ou a l’agent d’entretien ménager et au préposé au bénéficiaire. Le Québec n’a jamais été aussi fort et beau à mes yeux, je ressentais du réconfort, je ne me sentais plus seule parce que j’appartenais à quelque chose.

En rentrant au travail un jour, j’ai vu que quelque chose était différent. Plusieurs préposés aux bénéficiaires étaient à l’extérieur du centre et ils étaient heureux. Je suis rentrée jusqu’au vestiaire et j’ai surpris une dame haïtienne entrain de prier, versant des larmes de joie et de gratitude. Je n’ai pu me garder de l’interrompre en la questionnant de la raison, elle m’a regardée profondément et m’a dit : « On va avoir le droit de vivre ici, le premier ministre Trudeau a manifesté son intention de reconnaitre le travail des travailleurs de la sante, en nous donnant la résidence permanente. » Je n’en revenais pas. J’ai couru dans les toilettes, je me suis mouillé le visage, j’étais perdue dans mes pensées. Je me disais et si c’était des rumeurs ? Je ne voulais pas m’accrocher a ca, je m’interdisais de me réjouir de cette nouvelle, au moins pas avant de l’avoir vérifiée. J’ai pris mon téléphone, j’ai vérifié l’information sur internet. Et c’était bien vrai, c’est bon j’étais très heureuse, ma journée s’était aussi illuminée comme cette Dame. J’avais comme l’impression qu’un poids lourd s’était enlevé de mon dos. J’avais miraculeusement commencé à respirer différemment, légèrement. Je ne voulais pas m’appuyer mais le temps m’avait rendue plus souple. Donc à chaque jour depuis, je faisais les nouvelles, pour savoir les prochaines étapes. Je me disais qu’après la COVID-19, j’irais visiter ma famille. J’avais des plans. Je misais sur ce programme…jusqu’à ce qu’un vendredi bien paisible pour moi allait tourner a un plus funeste quand j’ai appris que le gouvernement du Québec a restreint l’accès aux agents de sécurités, aux agents en entretien ménager et aux préposé au service alimentaire. Mon cœur s’est fendu. Ce que je craignais dans les toilettes des vestiaires, venait de m’arriver…La déception. Je ne pouvais m’arrêter de pleurer. Je me suis sentie humiliée. Le voile m’était enlevée des yeux et c’était décevant de revoir la réalité se réinstaller.

Je continue de vivre tranquillement, en attendant ce que le vent ramènera à mes côtes, serai-je un jour acceptée par le Québec comme immigrante permanente ou ferai-je aussi objet de renvoi comme plein d’autres…je n’en saurai dire. Mon avenir est très incertain ici, c’est la dure réalité des demandeurs d’asile. C’est comme ci tu as passé des années à construire ta maison sur des bases dont tu ignores. Vont-elles tenir ? Ou la maison va-t-elle s’écrouler ? Seul le temps pourra répondre à ces questions qui nous sont si existentielles.

Je ne pourrai jamais oublier cette période de ma vie. Jamais je n’ai été aussi convaincue de faire le bon choix, sortir tous les jours pour aller travailler, même si ça me coûtait ma santé, et ma peur énorme du COVID-19. Ce virus a mis mon courage à rude épreuve.

Et si je devrais recommencer, je le ferai. Parce que je suis une personne humaine. Parce que je suis haïtienne et dans ma culture, quand le malheur sonne à nos portes, on unit nos forces quoi qu’il en coûte, on subit les secousses ensemble.

Je suis une demandeuse d’asile. J’ai choisi l’anonymat pour cet article. J’ai vu comment nous sommes traités par dans certains journaux, par certains responsables politiques ou des citoyens : « des profiteurs, des illégaux, des gens pauvres, des gens qui volent la job des québécois, des gens qui remplissent les autobus de st-Michel …» et j’ai horreur d’être catégorisée ainsi ou de faire pitié.

Néanmoins, la COVID-19 a mis à jour la fortitude de ces demandeurs d’asiles anges gardiens, La force de ces exilés à braver les dangers. La capacité de servir dans l’inconfort, la volonté de changer les choses qu’ils peuvent changer et surtout la solidarité et la diversité de la vraie société québécoise.

La COVID-19 m’a apprise que je n’ai pas besoin d’un papier migratoire pour me sentir québécoise. Ce sentiment d’affinité que deux êtres développent après avoir vécu un dur événement, ou surmonter un grand défi ensemble. Ce lien de confiance établi entre deux êtres que rien ne peut rompre…

Entre le Québec et ses anges gardiens, c’est toute une histoire d’amour, un lien qu’aucun gouvernement ne pourra rompre, quelque soit la décision. Une histoire que personne ne pourra réécrire.

Une demandeuse d’asile

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.