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Couvre-feu: science ou politique?

Photo: Archives
Mathieu Grondin - Collaboration spéciale

Le 28 septembre dernier, le gouvernement Legault ordonnait de nouveau la fermeture des restaurants, salles de spectacles, théâtres, cinémas, bars et musées. Pour les noctambules montréalais, la vie nocturne est confinée depuis 10 mois.

La hausse des cas de COVID-19 se poursuivant toujours de façon exponentielle, le gouvernement Legault ordonne maintenant la mise-en-place d’un couvre-feu, à l’instar de villes européennes comme Paris.

Selon un article d’Alec Castonguay dans le magazine L’Actualité sur les discussions au sein 1de la cellule de crise du gouvernement Legault, l’imposition d’un couvre-feu visait à «casser la vague pour de bon», «marquer l’imaginaire» et «donner un dernier coup» en attendant que le fédéral fournisse assez de vaccins pour inoculer les 1,2 millions de Québécois les plus exposés ou vulnérables au virus. S’il est indéniable que le couvre-feu marque l’imaginaire, réussira-t-il vraiment à casser la vague ?

Avis de la Santé Publique, le couvre-feu a été pensé en 48 heures durant la période des Fêtes pour décourager les rassemblements privés, qui sont pointés du doigt pour la hausse actuelle des cas.

Cette perception que des récalcitrants se cachent partout dans des appartements pour se rassembler est-elle fondée ? Des 2500 cas rapportés quotidiennement, combien d’entre eux sont le résultat de contacts nocturnes privés ? Au-delà d’anecdotes, la Santé Publique n’a jamais communiqué de données factuelles probantes pour le démontrer.

Comme vous, les travailleurs et amoureux de la nuit veulent en finir avec ce virus qui pourrit nos vies depuis plus de 10 mois et met à l’arrêt des dizaines de milliers de noctambules comme moi.

Et si un couvre-feu pouvait accélérer la relance ?

Lors de la conférence de presse du 6 janvier 2021, le Dr. Arruda a malheureusement été clair: il n’existe aucune étude pouvant démontrer que le couvre-feu réduira significativement les contacts. Il faut juger l’efficacité de «l’ensemble de mesures» mises en place par son équipe. Quelques minutes plus tard sur les ondes de Radio-Canada, le Dr. Karl Weiss affirmait que le couvre-feu en France a même plutôt multiplié les contacts dans les épiceries, tout le monde devant s’y rendre en même temps ! Le Québec ne sera pas épargné par ce phénomène et les heures réduites. C’est inquiétant.

À la lumière des commentaires des Dr. Arruda et Weiss, cette mesure inédite et lourde de conséquences au plan des libertés civiles me laisse la perception qu’elle relève plus de l’exercice politique que d’une véritable stratégie scientifique.

Faut envoyer un message.

On dit que la folie c’est de refaire la même chose et de s’attendre à un résultat différent, mais l’absence de données pour démontrer la pertinence du couvre-feu dans la lutte au virus apparaît comme une mesure déraisonnable à la lumière de ses effets liberticides. Son efficacité ne pouvant être démontrée dans le contexte québécois (ou montréalais), elle pourrait n’avoir qu’un effet marginal sur la lutte au virus. Montréal, avec son -15 degrés en janvier, sa densité moindre, ses plus grands logements et ses amendes à 1500$ plutôt que 136 euros, n’est pas Paris.

En plein hiver, l’impact tragique sur notre santé mentale collective, les pauvres, les jeunes, les minorités culturelles et les travailleurs de nuit pourrait se révéler bien plus important dans cette crise que le virus. Que feront les personnes âgées, isolées? Où iront les itinérants ? M. Legault a dit qu’il y avait assez de place en refuge; ces refuges, souvent surchargés, sont justement des nids d’éclosions que bien des sans-abris veulent éviter !

Mieux vaut prévenir que guérir ?

Depuis maintenant dix mois, le Québec est en tête de peloton des pires endroits du monde occidental pour le taux de décès de la COVID. La recherche de boucs-émissaires, bien que cathartique, n’a toujours pas amélioré notre protection des plus vulnérables.

D’évidence, la culpabilisation des activités nocturnes, des Chinois, des vieux à la SAQ, des jeunes dans les parcs, des terrasses de bar, des karaokes, de la Gaspésie, d’une coiffeuse de Thetford Mines, des restaurants, des Costco, des snowbirds ou de Noël ne nous permettront pas de casser la vague.

Prendre en compte que les aérosols sont les principaux responsables de la transmission, améliorer la ventilation dans nos classes, augmenter la rapidité du traçage et empêcher pour de bon la mobilité du personnel de santé entre établissements sont des solutions qui marquent moins l’imaginaire qu’un couvre-feu, mais qui seraient des «derniers coups» beaucoup plus efficaces en attendant qu’une véritable campagne de vaccination s’active.

La gestion de la santé publique est souvent le résultat de choix qui ont plus à voir avec la politique qu’avec la science. Nous pouvons au moins remercier l’équipe de M. Legault d’être transparente à cet égard.

Mathieu Grondin, directeur-général de MTL 24/24, organisme dédié à la vie nocturne

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