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Au nom du personnel en éducation, permettez-moi de ventiler

Photo: Archives
Mathieu Audet - Collaboration spéciale

20 % des enseignants vivront une dépression lors des cinq premières années. Si ça, ça ne démontre pas l’urgence de la situation et les difficultés liées à la pratique du métier, je ne sais pas quel chiffre attirera enfin la sensibilité du grand public à l’égard de nos passeurs culturels…

Permettez-moi de proposer que nous nous mettions à leur place, l’instant d’un moment…

Vous en êtes à votre troisième cours de la journée. Vous faites face à 32 élèves, assis inconfortablement sur une vieille chaise de bois, qui vous attendent dans une de ces classes démodées qui doit faire 30 pieds par 30 pieds et qui est ornée de vieux trous, non-réparés, bien inscrits dans le patrimoine (bien maigre) des murs de chaque polyvalente publique.

La cloche sonne, votre cours commence : deux adolescents dyslexiques ont oublié leur ordinateur portable chez soi, trois furent absents de votre cours en ligne étant donné qu’ils ont eu des problèmes de réseau (ils vous mentionnent cela tout en vous demandant d’aller chercher leur matériel), cinq ont un masque dont l’élastique est manquant, trois sont en retard à 2 minutes d’intervalle, eux qui cognent respectivement à la porte de votre classe. Vous vous en doutiez que ces trois jeunes n’allaient pas arriver à temps : c’est qu’ils en sont venus au coup lors de la récréation. Vous avez vos contacts : une élève venait tout juste de vous mettre au courant. Une histoire de triangle amoureux…

Bref, aujourd’hui, vous devez, au sein de ce groupe ordinaire composé d’élèves formidables, inspirants, sensibles, mais qui ont vécu maintes difficultés scolaires, les motiver, leur faire prendre conscience de l’importance du moment présent, leur faire oublier leurs soucis, et, finalement, leur faire apprendre ce que vous devez ou voulez leur faire apprendre.

Simple, non?

Ha oui… et vous devez jongler avec tout ça alors que vous ne savez toujours pas quelle est la date limite pour remettre vos notes, combien de bulletins il y aura, comment gérerons-nous l’horaire des élèves des groupes particuliers, qu’est-ce qu’il adviendra des examens de fin d’année, etc. Mais ce sont des détails, pour certain.es, impertinents, qui seront analysés plus tard.

Des directives au compte-gouttes

La meilleure façon de gérer l’instabilité, c’est d’informer rapidement et efficacement les parties prenantes de ce qui s’en vient. C’est de prendre en compte ces différentes parties afin d’éliminer des irritants qu’elles vivent, afin de proposer des façons de faire humaines et efficaces dans le but que nos jeunes, mais également dans le but le personnel œuvrant dans le domaine de l’éducation, s’épanouissent.

Certaines directions d’école font des miracles. Dans un autre ordre d’idées, c’est frappant à quel point un gouvernement souhaite tout centraliser quand ça fait son affaire, et tient à déléguer le plus possible le pouvoir quand l’eau devient chaude. C’est comme ça pour toutes les branches de notre système public. Le minimum serait de l’assumer. Quoi qu’il en soit, les directions d’école sont bien courageuses d’accepter tout ça.

Je vous le dis : l’enseignant se voit, bien malgré lui, impuissant. C’est que devant un groupe ordinaire composé de jeunes dont la réalité est particulièrement homogène, il est ardu autant pour l’enseignant que pour le personnel de soutien d’être attentifs aux détails, d’écouter, de s’adapter à la réalité qui, pourtant, vous frappe en plein visage.

Chaque individu a un code moral. Chaque professionnel veut atteindre ses objectifs et répondre aux besoins d’autrui. Ce n’est pas différent pour le personnel qui œuvre dans le domaine de l’éducation : il veut partager ses savoirs, lui qui souhaite entrer en contact avec ses élèves de façon bidirectionnelle. Chapeau également au personnel de soutien de l’école qui, souvent, substitue l’absence marquée, mais non-souhaitée, de certains parents dans le parcours scolaire de leur jeune.

L’on souhaite prendre les meilleures décisions pour notre système d’éducation?

Une solution s’impose : réunir autour d’une même table des professionnels, des enseignants, des directions d’école, des experts et des gens du gouvernement. Je suis convaincu que les échanges seront plus rationnels, davantage ancrés dans la réalité. Parlons déjà de septembre 2021. Parlons déjà de la façon dont nous allons rattraper, cet été, les échecs scolaires de certain.es. N’attendons pas que la pression publique fasse son effet, et agissons à l’instant.

Après tout, que dira-t-on de vous si presque tous vos élèves, dans ces circonstances particulières, échouent? Ou encore pire, que dira-t-on de vous si vous les avez mal évalués?

Probablement la même chose que si vous avez bien fait votre travail : c’est facile, enseigner. Ce n’est pas demandant. Le personnel enseignant et de soutien se plaignent toujours le ventre plein… Des vacances l’été, des journées pédagogiques… Ils sont bien, ceux-là!

Parce que ce n’est pas la ventilation dans les écoles le plus grave problème.

C’est que le personnel enseignant et les élèves n’ont même plus la force de ventiler.

Il est temps d’agir.

C’est un vent de changements dont le système d’éducation a besoin.

À nous, maintenant, de le prioriser.

 

Mathieu Audet, ancien enseignant

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